La jeune Inde
ARRESTATION DE GANDHI ET CE QUI SUIVIT (résumé)
Ce qui était prévu depuis longtemps est arrivé. Le sacrifice ardemment souhaité par Gandhi est consommé. Il se sent libre, à présent que le gouvernement sous lequel il lui était devenu intolérable de vivre l’a mis en prison.
Le bruit de son arrestation imminente courut dès le 8. Il partit néanmoins pour Ajmere, sur une invitation pressante de M. Chhotani; et la rumeur circula qu’il se pourrait qu’on l’arrêtât en route.
Il revint sain et sauf à l’Ashram le 10 et s’y montra plein d’entrain. Ces bruits furent reçus à l’Ashram avec le plus grand calme. On était habitué à ces sortes de séparations. La routine journalière n’en fut pas troublée. Le soir pourtant, à l’heure de la prière, il se fit un profond silence, tandis que d’un pas rapide et angoissé les habitants de l’Ashram arrivaient pour assister à ce qui serait peut-être pour longtemps la dernière prière de leur Bapu. Il était d’une gaieté inusitée, il joua avec les enfants et rivalisa d’entrain avec eux, il travailla ensuite comme à l’ordinaire et ne cessa de voir des amis qui venaient aux nouvelles. A dix heures il fit ses ablutions et se disposa à aller se reposer. Tous ses amis étaient partis; Banker qui était venu avec M. Shvaib pour confirmer la rumeur s’était éloigné également. Quelques minutes plus tard, M. Shvaib revenait avec Anasuyabai annoncer que M. Banker venait d’être arrêté et qu’on allait procéder à l’arrestation de Gandhi. La nouvelle s’étant répandue, tous les habitants de l’Ashram: hommes, femmes, enfants accoururent pour recevoir sa bénédiction. Son hymne préféré en Gujerati fut chanté en chœur, puis il eut un mot pour chacun, les encourageant tous par sa joie et son animation et il se disposa à aller lui-même au devant de la police.
Maulana Hasrat Mohani qui l’avait quitté à Ahmedabad en revenant d’Ajmere arriva à l’Ashram juste à temps pour le voir avant son arrestation. Ils s’embrassèrent et s’assurèrent de leur mutuelle estime et de leur respect réciproque. Le Maulana était très affecté, il promit à Gandhi de consacrer toute son énergie à la cause de la Non-Coopération et de la Non-Violence.
Gandhi et M. Banker furent alors conduits à la prison de Sabarmati, où Madame Gandhi et cinq ou six autres personnes furent autorisées à les accompagner..... Le lendemain, on les conduisit devant le juge d’instruction M. Allan Brown I. C. S. La nouvelle avait été tenue secrète; néanmoins un grand nombre de spectateurs avaient obtenu l’autorisation d’assister à l’interrogatoire. Cinq témoins furent interrogés pour l’accusation, au nom du Gouvernement: M. Healy, Surveillant Général de la Police du District, le greffier du tribunal de Bombay, M. Dinshaw Gharda, M. Chatfield, magistrat d’Ahmedabad, un sous-inspecteur de la police et un détective de la police secrète. Ils eurent à répondre à deux questions. Lecture fut ensuite donnée d’articles de la Jeune Inde afin de prouver qui en était l’auteur et leur but.
Plusieurs heures furent perdues sur ces deux questions fort simples, afin de ne pas manquer aux formalités. Il semblait absurde de passer tant de temps sur un fait évident. Il y avait dans toute l’affaire quelque chose de théâtral et d’artificiel: la condescendance du Magistrat même lorsqu’il s’adressait à des amis des collègues ou des supérieurs le respect témoigné au Président du tribunal, quelque soit la personnalité qui en occupe le siège: coutumes traditionnelles peut-être, qui deviennent naturelles à ceux qui les pratiquent, mais qui, bien que revêtues de splendeur, paraissent étranges et déplacées à celui qui les observe pour la première fois.
15 mars 1922