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La jeune Inde

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LA NON-COOPÉRATION

Lettre adressée au Vice-Roi par M. Gandhi pour inaugurer la non-coopération.

«Je ne vous renvoie pas sans un serrement de cœur la médaille d’or Kaisar-i-Hind que votre prédécesseur m’avait offerte pour l’œuvre humanitaire accomplie par moi dans l’Afrique du Sud, la médaille de la guerre des Zoulous qui m’avait été remise en 1906 pour mes services comme officier responsable d’une ambulance de volontaires indiens, la médaille de la guerre des Boers pour les services que j’ai rendus pendant la guerre Sud-Africaine comme aide-surveillant d’un corps de brancardiers volontaires Indiens. Je me permets de vous renvoyer ces décorations conformément à un plan de Non-Coopération que nous inaugurons aujourd’hui et qui est lié au mouvement pour le Califat. Quelques précieuses que m’aient été ces distinctions, je ne puis continuer à les porter sans remords tant que mes compatriotes musulmans ont à souffrir d’un tort fait à leurs croyances religieuses. Certains événements qui se sont produits le mois dernier m’ont convaincu toujours davantage que, dans l’affaire du Califat, le Gouvernement Impérial s’est comporté d’une manière peu scrupuleuse, injuste et immorale et que pour défendre cette immoralité il a accumulé les torts. Je ne puis conserver pour un tel gouvernement ni respect, ni affection.

L’attitude du Gouvernement Impérial et celui de Votre Excellence au sujet de la question du Pendjab m’ont donné d’autres sujets de mécontentement. J’ai eu l’honneur, comme Votre Excellence le sait, de faire partie de la Commission du Congrès chargée de rechercher les causes des désordres du Pendjab au mois d’Avril 1919 et j’ai la ferme conviction que Sir Michael O’Dwyer était absolument incapable de remplir les fonctions de Gouverneur-Adjoint du Pendjab, et que sa politique fut la cause principale de la fureur de la foule, à Amritsar. Sans doute les excès commis par celle-ci sont impardonnables; les tentatives d’incendie, le meurtre de cinq Anglais innocents et le lâche attentat contre Miss Sherwood furent des incidents déplorables et gratuits. Mais les mesures de répression prises par le Général Dyer, par le Colonel Frank Johnson, le Colonel O’Brien, Mr Bosworth Smith, Rai Shri Ram Sud, Mr Mallik Khan et autres officiers n’étaient pas proportionnées aux crimes commis par le peuple et atteignirent une cruauté aveugle et une barbarie sans pareille dans l’histoire moderne. La légèreté avec laquelle votre Excellence a traité le crime officiel, la façon dont elle a exonéré Sir Michael O’Dwyer, le rappel de M. Montagu et par dessus tout la honteuse ignorance des événements du Pendjab et la froide indifférence pour les sentiments des Indiens montrées à la Chambre des Lords m’ont rempli des plus sérieuses craintes pour l’avenir de l’Empire, m’ont complètement éloigné du gouvernement actuel et me rendent absolument incapable de continuer à lui offrir comme je l’ai fait jusqu’ici ma coopération loyale.

A mon humble avis, la méthode habituelle qui consiste à faire de l’agitation au moyen de pétitions et de députations, etc., est un remède impuissant pour amener au repentir un gouvernement à ce point indifférent au bien de ceux dont il est responsable. Dans les pays d’Europe le peuple aurait fait une révolution sanglante pour effacer des injustices aussi sérieuses que celles du Pendjab et du Califat. Il aurait résisté de toute sa force contre semblable émasculation nationale impliquée par la dite injustice. Mais, la moitié de l’Inde est trop faible pour résister avec violence et l’autre ne le veut pas. Je me risque donc à suggérer le remède de la Non-Coopération qui permet à ceux qui le désirent de rompre avec le gouvernement, et qui, s’il ne s’accompagne pas de violence et s’accomplit avec méthode, doit l’obliger à faire un retour sur lui-même et à réparer le mal commis. Mais tout en poursuivant cette politique de Non-Coopération aussi loin que je pourrai entraîner le peuple, je ne perds pas l’espoir que vous voyiez la possibilité d’agir avec équité. Je prie donc respectueusement Votre Excellence de réunir en conférence les chefs reconnus du peuple et de chercher avec eux le moyen d’apaiser les Musulmans et de réparer l’iniquité commise envers le malheureux Pendjab.»

4 août 1920

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