La jeune Inde
LA QUESTION TURQUE
L’Angleterre doit choisir, il lui est impossible de considérer plus longtemps comme esclaves les Hindous et les Musulmans dont les yeux se sont ouverts. Si l’Inde doit demeurer l’associée de chacune des autres parties de l’Empire et être leur égale, il faut que sa puissance électorale soit de beaucoup supérieure à celle de chacune des autres. Dans toute confédération indépendante, chaque associé possède le droit de se retirer si les autres agissent mal, de même qu’il a le devoir d’y adhérer aussi longtemps que les autres restent fidèles à certains principes communs. Si l’Inde votait mal, l’Angleterre aurait la ressource de se retirer de la Société, ainsi que tout associé en a le droit. Le centre de l’équilibre doit donc se déplacer et passer aux Indes, au lieu de rester en Angleterre. Voilà ce que j’entends par le Swaraj au sein de l’Empire. La force brutale doit être exclue de toute délibération, il faut en toute circonstance s’en rapporter à la raison et non à l’épée.
Il en est de l’Inde comme de l’Angleterre. L’Inde doit choisir également. Nous luttons aujourd’hui pour le Swaraj au sein de l’Empire, dans l’espoir que l’Angleterre finira par se montrer juste envers l’Inde, et pour notre indépendance si elle s’y refuse. Et quand il sera absolument démontré que l’Angleterre cherche à anéantir la Turquie, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance. Quand l’existence de la Turquie, telle qu’elle est, se trouvera menacée, les Musulmans n’hésiteront pas. S’ils le pouvaient, ils tireraient l’épée et périraient avec les braves Turcs ou vaincraient avec eux; mais si, grâce à la politique du Gouvernement indien il leur est interdit de déclarer la guerre à l’Angleterre, il leur reste la possibilité de refuser l’obéissance à un gouvernement qui fait criminellement la guerre aux Turcs. Le devoir des Hindous est tout aussi évident. Si nous craignons toujours les Musulmans, si nous manquons de confiance en eux il faut nous mettre du côté des Anglais et prolonger notre esclavage. Si nous sommes assez braves et assez religieux pour ne pas craindre les Musulmans, nos compatriotes, si nous avons la sagesse de nous fier à eux, nous devons faire cause commune et employer toutes les mesures pacifiques et loyales qui pourront assurer à l’Inde son indépendance. Un Hindou, selon ma conception de l’Hindouïsme, que ce soit pour obtenir l’indépendance de l’Inde ou le Swaraj au sein de l’Empire n’a qu’une méthode, celle de la Non-Coopération non violente. L’Inde peut dès aujourd’hui obtenir le rang de «Dominion» ou l’indépendance si elle apprend le secret de la puissance invincible de la non-violence et se l’assimile. Lorsque l’Inde aura appris cette leçon, elle sera capable d’appliquer tous les degrés de la Non-Coopération, y compris le refus de payer les impôts. L’Inde n’en est pas encore capable mais si nous voulons être à même de déjouer toutes les conspirations ourdies pour détruire la Turquie et prolonger notre esclavage, il faut créer autour de nous une atmosphère de non-violence éclairée, non pas la non-violence des faibles, mais celle des forts qui tout en dédaignant de tuer sont prêts à donner joyeusement leur vie pour la défense de la Vérité.
29 juin 1921.