La jeune Inde
LA POSITION DES FEMMES
Shrimati Sarala Devi de Katak m’écrit: «Ne trouvez-vous pas que la façon de traiter les femmes est un mal aussi sérieux que l’Intouchabilité? L’attitude des jeunes gens «Nationalistes» que j’ai rencontrés est quatre vingt dix-neuf fois sur cent absolument écœurante. Combien en est-il parmi les Non-Coopérateurs qui considèrent la femme comme autre chose qu’un objet de plaisir? La condition essentielle du succès, la purification de soi-même est-elle possible tant que l’attitude envers les femmes n’aura pas changé?» Je ne puis admettre que la manière de traiter les femmes soit «un mal aussi sérieux que l’Intouchabilité». Shrimat Sarel Devi s’en est beaucoup exagéré la gravité, et l’accusation qu’elle porte contre les Non-Coopérateurs, de ne chercher que la satisfaction des sens, n’est point soutenable. L’exagération peut faire grand tort à une cause. Je reconnais néanmoins sans difficulté que, pour se préparer au Swaraj, les hommes doivent acquérir un respect plus grand de la femme et de sa pureté. M. Andrews a frappé bien plus juste lorsqu’il nous dit en termes brûlants de ne point oser nous repaître de la honte de nos sœurs tombées. Il est dégradant de penser qu’un Non-Coopérateur a pu prendre plaisir à raconter comment certaines de ces sœurs égarées se réservaient aux Non-Coopérateurs. Dans une question aussi vitale pour notre bien moral, nulle distinction entre Coopérateur et Non-Coopérateur ne peut se faire. Tous, comme hommes, nous devons baisser la tête de honte tant qu’il restera une seule femme consacrée à nos plaisirs. Je préférerais beaucoup que la race humaine disparût plutôt que de nous voir devenir pires que des animaux en faisant de la plus noble créature de Dieu l’objet de notre concupiscence. Mais cette question ne concerne pas l’Inde uniquement, elle concerne le monde entier. Et si je prêche contre cette vie moderne artificielle de plaisirs sensuels et demande aux hommes et aux femmes de revenir à la vie simple représentée par la Charka (rouet), c’est parce que je sais que sans ce retour intelligent à la simplicité nous tomberons forcément plus bas que la brute. Je souhaite passionnément pour la femme une liberté absolue. J’exècre les mariages d’enfants, je frémis lorsque je vois une fillette veuve, et je tremble de fureur lorsqu’un homme qui vient de perdre sa femme contracte une autre union avec une indifférence brutale. Je déplore l’indifférence criminelle des parents qui tiennent leurs filles dans l’ignorance, ne leur donnent aucune culture littéraire et les élèvent uniquement en vue d’un mariage avec quelque jeune homme riche. Pourtant malgré ma fureur et mon chagrin, je me rends compte de la difficulté du problème. Il faut que la femme vote, que sa position devant la loi soit égale à celle de l’homme. Mais le problème ne s’arrête pas là, il ne commence qu’au moment où les femmes ont quelque influence sur les délibérations politiques de la Nation.
Pour illustrer ce que je veux dire, permettez-moi de vous rapporter la description charmante faite par un ami musulman que j’estime, de sa conversation à Londres avec une célèbre féministe. Il assistait à une réunion de féministes. Une dame amie fut surprise de voir un musulman à une réunion de ce genre. Elle lui demanda à quoi elle devait attribuer sa présence. Mon ami lui répondit qu’il avait deux raisons principales et deux autres secondaires pour y assister. Il avait perdu son père, étant enfant en bas âge; ce qu’il était, il le devait entièrement à sa mère. Puis il s’était marié à une femme qui était vraiment son associée. Enfin, il n’avait pas de fils, mais quatre filles mineures auxquelles il s’intéressait comme père. Etait-ce surprenant qu’il fût féministe? Il poursuivit: on accuse les Musulmans d’indifférence envers les femmes. Il n’y eut jamais de calomnie plus grave. La loi de l’Islam donne à la femme des droits égaux à ceux de l’homme.—Il considérait que l’homme avait avili la femme par sa convoitise. Au lieu d’adorer l’âme qui se trouvait en elle, il s’était mis à adorer son corps et il avait si bien réussi dans son dessein que la femme aujourd’hui, sans s’en rendre compte, s’était mise à chérir ses avantages physiques, ce qui était presque un signe de sa servitude. Il ajouta d’une voix qu’étouffait l’émotion: Autrement, pourquoi nos sœurs tombées trouveraient-elles un si grand plaisir à l’embellissement de leur corps? Est-ce que nous autres hommes, n’avons pas complètement anéanti leur âme? Non, continua-t-il après avoir repris son sang-froid, il ne désirait pas une liberté machinale pour la femme; il voulait briser les entraves qui la rendaient esclave de sa propre volonté. Aussi avait-il l’intention de préparer ses filles à une profession indépendante.
Je n’ai pas besoin de citer la fin de cette ennoblissante conversation. Je désire que mes aimables correspondantes réfléchissent au sujet principal. Il faut que la femme cesse de se considérer comme un objet de plaisir. Le remède est entre ses mains bien plus qu’entre celles de l’homme. Si elle veut que celui-ci la traite en associée, qu’elle refuse de se parer pour plaire aux hommes, même à son mari. Je ne puis me représenter Sita gaspillant un seul moment à vouloir attirer Rama par ses charmes physiques.
21 juillet 1921.