La jeune Inde
LE DRAPEAU NATIONAL
Un drapeau est nécessaire à toute nation. Des milliers d’hommes ont donné leur vie pour lui. C’est assurément une des formes de l’idolâtrie qu’il serait mauvais de détruire. Un drapeau représente un idéal. L’Union Jack que l’on déploie évoque au cœur des Anglais des sentiments dont il serait difficile d’évaluer la force, les Stars and Stripes des Américains leur représentent un monde, l’étoile et le croissant font naître dans l’Islam la plus noble bravoure.
Nous aurons besoin également, nous autres Indiens: Hindous, Mahométans, Chrétiens, Juifs, et tous ceux dont l’Inde est le pays, d’un drapeau commun pour lequel nous serons prêts à vivre et à mourir.
..... C’est à un habitant du Pendjab, que revient l’honneur d’avoir proposé un projet de drapeau digne d’arrêter l’attention. Lala Hansrag de Jullunder, en discutant l’avenir du Rouet, suggéra que celui-ci fût représenté sur le drapeau du Swaraj..... Je me rendis compte que le drapeau devait représenter les autres religions en même temps que la religion hindoue et l’Islam. L’Union Hindoue-Musulmane[79] n’est pas un terme qui exclut mais qui inclut, au contraire. Elle est le symbole de toutes les croyances de l’Inde..... Je proposai donc que le rouet fût représenté sur un fond blanc vert et rouge. La partie blanche représenterait toutes les autres religions et aurait, comme leur nombre est plus faible, la première place. La couleur de l’Islam viendrait ensuite et le rouge hindou en dernier pour indiquer que les plus forts doivent protéger les plus faibles. D’autre part, le blanc signifie pureté et paix... Et pour indiquer que le plus faible est l’égal du plus fort les trois couleurs seraient réparties également.
Mais l’Inde en tant que nation ne saurait vivre et mourir que pour le rouet. Toute femme dira qu’avec le départ du rouet le bonheur de l’Inde et sa prospérité disparurent. Rien n’a réveillé les qualités de la femme et des masses comme l’appel du rouet. Les masses reconnaissent dans le rouet l’instrument qui assure l’existence, les femmes le considèrent comme le gardien de leur chasteté. Toutes les veuves que j’ai rencontrées retrouvent en lui un ami cher, longtemps négligé. Le rétablir est l’unique moyen de nourrir des milliers de bouches affamées. Il n’existe pas de projet de développement industriel qui puisse résoudre le problème de la pauvreté croissante du paysan de l’Inde. L’Inde n’est pas une petite île, c’est un vaste continent qu’il est impossible de convertir comme l’Angleterre en pays industriel. Et nous devons résolument nous dresser contre toute tentative d’exploitation du monde extérieur. Notre seule planche de salut consiste à employer les heures perdues de la nation à convertir notre coton en tissus dans nos chaumières. Le rouet est par conséquent aussi nécessaire à l’existence indienne que l’air et l’eau.
De plus les Musulmans lui accordent une place aussi importante que les Hindous. A la vérité les Musulmans s’y mettent même avec plus d’enthousiasme. La femme Musulmane est femme d’intérieur et peut à présent ajouter quelques sous aux maigres ressources que son mari apporte à la famille. Le rouet est donc en même temps le facteur commun le plus naturel et le plus important de l’existence nationale. Il nous sert à informer le monde qu’en ce qui concerne nos vêtements et notre nourriture, nous sommes résolus à ne dépendre que de nous-mêmes. Ceux qui partagent ma croyance vont se hâter de posséder un rouet et d’avoir un drapeau national comme je viens de le décrire.
Il va sans dire que le drapeau doit être en Khaddar car c’est par le tissu grossier que l’Inde restera indépendante des marchés étrangers. Je conseillerais à tous les groupements religieux, s’ils approuvent mon idée, de tisser dans l’angle gauche de leurs bannières un drapeau national minuscule. La dimension réglementaire du drapeau doit pouvoir contenir le dessin d’un rouet de grandeur naturelle.
13 avril 1921