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La jeune Inde

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AUX PARSIS

Chers amis,

Je sais que vous suivez avec beaucoup d’intérêt le mouvement de Non-Coopération. Vous n’ignorez probablement pas que tous les Non-Coopérateurs réfléchis attendent anxieusement de savoir le rôle que vous allez jouer dans le mouvement de purification qui s’étend sur le pays tout entier. Personnellement, je suis persuadé que vous ferez ce que vous devez faire lorsque le moment sera venu de prendre une décision et si je vous écris ces quelques lignes, c’est que je crois le moment arrivé.

Des liens sacrés outre celui de compatriote, m’unissent à vous. Dadabhai fut le premier patriote qui m’inspira. A une époque où je ne connaissais pas d’autres chefs il fut mon guide et mon soutien. Encore enfant, j’eus pour lui une lettre d’introduction. Ce fut l’ancien «roi sans couronne» de Bombay qui en 1896 me servit de maître et me montra la façon de travailler. Déjà en 1892, alors que je voulais livrer bataille à un agent politique ce fut lui qui réprima mon ardeur juvénile et me donna ma première leçon d’Ahimsa dans la vie publique. Il m’apprit à ne pas m’irriter des injustices qui m’étaient faites si je voulais servir l’Inde. Un commerçant Parsi de Durban, Rustamjee Ghorkhodoo, fut dans l’Afrique du Sud un de mes meilleurs clients et un de mes amis. Il donna largement pour le bien public, lui et son courageux fils, et furent parmi mes premiers compagnons de prison.

Il m’offrit asile lorsqu’on me lyncha, et à l’heure actuelle, suit avec un profond intérêt la cause du Swaraj et vient de me donner pour elle 40000 roupies. La plus noble femme de l’Inde est à mon avis une Parsie; elle a la douceur d’un agneau et son cœur embrasse toute l’humanité. Son amitié est le plus précieux des privilèges. Je voudrais continuer à citer indéfiniment ces souvenirs sacrés mais je vous en ai assez dit pour que vous me compreniez et appréciiez les raisons qui ont dicté cette lettre.

Votre communauté est très prudente, vous êtes étroitement unis et vous demandez avec juste raison d’abondantes preuves de la moralité et de la sécurité d’un mouvement avant de vous y intéresser. Mais vous risquez maintenant de pécher par excès de prudence et vos succès commerciaux peuvent vous porter à oublier les besoins et les aspirations de la masse de vos compatriotes.

J’appréhende pour vous l’esprit de Rockfeller qui semble gagner l’importante maison des Tatas. Je n’ose penser aux conséquences de s’approprier comme ils le font les biens des pauvres gens pour transformer l’Inde en pays industriel, bénéfice douteux pour elle, mais je suis persuadé que ce n’est qu’une phase passagère. Votre pénétration vous permettra de voir qu’une telle entreprise est un suicide. Votre intelligence alerte vous démontrera que ce n’est pas de la concentration du capital entre les mains d’un petit nombre que l’Inde a besoin, mais de la distribution de ce capital afin qu’il soit à la portée des 750.000 villages composant ce continent d’environ 2700 kilomètres sur 2200 de superficie. Je sais par conséquent que c’est uniquement une question de temps et que vous joindrez votre sort comme communauté à celui des réformateurs souhaitant libérer l’Inde du fléau de l’Impérialisme qui la saigne à mort.

Il y a cependant une chose pour laquelle il serait criminel de ne pas agir immédiatement. Une vague de tempérance s’étend sur l’Inde. Le peuple désire volontairement s’abstenir de boissons alcoolisées. Or un grand nombre de Parsis gagnent leur vie comme tenanciers de débits de boisson. Votre coopération sincère peut anéantir complètement un grand nombre de ces lieux infects qui se trouvent dans la Présidence de Bombay. Les gouvernements locaux cherchent partout dans l’Inde à entraver honteusement cette tentative qui risque de supprimer tous les revenus publics d’Abkari. Désirez-vous aider le gouvernement ou désirez-vous aider le peuple? Le gouvernement de Bombay n’a pas encore été pris de panique, mais je ne puis m’imaginer qu’il ait la sagesse ou le courage de sacrifier ce que la boisson rapporte au fisc. Il vous faut choisir immédiatement. J’ignore ce que disent les livres saints à ce sujet. Je puis m’imaginer ce qu’a dit le Prophète qui, séparant le bien du mal, chantait la victoire du Bien. Mais, en dehors de votre croyance religieuse, il faut que vous décidiez si vous allez aider la cause de la tempérance ou attendre apathiquement et philosophiquement ce qu’il adviendra. Je veux espérer qu’étant une communauté pratique de l’Inde vous allez vous associer activement et sérieusement au grand mouvement de tempérance qui promet de dépasser en éclat tous les mouvements analogues du monde entier.

Croyez moi, votre fidèle ami,

M. K. Gandhi.

23 mars 1921.

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