La jeune Inde
L’UNION HINDOUE-MUSULMANE
«L’Union fait la force» n’est pas seulement une maxime de cahier d’écriture, c’est aussi une règle de vie et rien ne le démontre autant que l’Union Hindoue-Musulmane. La désunion, c’est notre chute inévitable. N’importe quelle troisième puissance pourra facilement nous réduire à l’esclavage tant que nous serons prêts à nous entr’égorger. L’Union Hindoue-Musulmane ne signifie pas seulement union des Hindous et des Musulmans mais de tous ceux qui considèrent l’Inde comme leur pays quelle que soit la religion à laquelle ils appartiennent.
Je sais très bien que nous ne sommes pas encore arrivés à une Union capable de supporter une tension. C’est une plante délicate et jeune qui croît chaque jour et demande des soins spéciaux. La chose était évidente à Nellore où je me trouvais en face du problème sous une forme concrète. Les relations entre Hindous et Musulmans n’étaient pas trop cordiales. Ils s’étaient battus moins de deux ans auparavant pour ce qui me parut une cause bien futile. Il s’agissait de cette éternelle question de musique en passant devant des mosquées. Je trouve que nous ne devons pas attribuer à toutes les petites choses une importance religieuse. Un Hindou ne devrait pas s’obstiner à faire de la musique lorsqu’il passe devant une mosquée ni, pour s’en donner le droit, citer des précédents chez lui et ailleurs. Cette question n’a pas pour lui d’importance vitale.
Il est facile de comprendre les sentiments des musulmans qui désirent avoir pendant les 24 heures entières un silence absolu auprès de leur mosquée. Ce qui n’est pas essentiel pour un Hindou peut être essentiel pour un Mahométan, et sur tout ce qui n’est pas essentiel, un Hindou doit céder si on le lui demande. C’est une folie criminelle que de se disputer pour des vétilles. L’union à laquelle nous aspirons ne saurait être durable si nous ne développons en nous une disposition charitable et conciliante. La vache, pour les Hindous, est plus précieuse que l’existence même, aussi le Mahométan doit-il de bon cœur se conformer au désir de son frère hindou. Le silence autour de ses prières est cher au Musulman, dès lors tout Hindou doit respecter les sentiments de son frère musulman. Il y a de méchants Hindous comme il y a de méchants Musulmans portés à chercher querelle à tout propos. Pour ces derniers il faudra organiser des panchayats (tribunaux d’arbitrage populaires) d’une intégrité et d’une fermeté incontestables et dont la sentence sera décisive pour les deux parties. Il serait bon d’amener l’opinion publique à approuver l’arbitrage des panchayats afin que nul ne puisse en contester la décision.
Je sais qu’il existe encore beaucoup trop de méfiance. Nombre d’Hindous doutent de la sincérité des Musulmans. Ils croient que le Swaraj veut dire: gouvernement des Musulmans, ils prétendent que les Anglais n’étant plus là les Musulmans de l’Inde aideront les puissances musulmanes à établir dans l’Inde un empire musulman. D’autre part, les Musulmans craignent que les Hindous étant en majorité écrasante, ne les étouffent. Une telle tendance d’esprit est un signe de faiblesse chez les uns et chez les autres. Leur désir de vivre en paix, sinon leur noblesse de sentiments, devrait leur dicter une politique de confiance mutuelle et d’indulgence réciproque. Il n’existe absolument rien dans leurs religions respectives qui doive les diviser. L’époque des conversions forcées est passée. Les Hindous n’ont aucune raison de querelle avec les Musulmans sauf au sujet de la vache. Et les Musulmans n’ont aucune obligation religieuse de la tuer. A dire vrai nous n’avions jamais essayé jusqu’à ces derniers temps d’arranger ces différends et de vivre comme des amis qui sont unis parce qu’ils sont les enfants du même sol sacré. Une occasion unique s’offre à nous. La question du Califat ne se représentera pas avant un autre siècle. Si les Hindous veulent qu’une amitié éternelle les unisse aux Musulmans, il faut qu’ils soient prêts à mourir avec eux dans leurs efforts pour défendre l’honneur de l’Islam.
11 mai 1921.