La jeune Inde
LE PREMIER AOUT
Il est peu probable que les ministres de Sa Majesté promettent avant le 1er août de réviser les conditions de paix, et que par conséquent l’inauguration de la Non-Coopération soit suspendue. Le 1er août prochain sera aussi important dans l’histoire de l’Inde que le 6 avril l’an dernier. Le 6 avril fut le commencement de la fin de l’Acte Rowlatt. Personne ne peut s’imaginer que l’Acte Rowlatt puisse survivre devant l’agitation qui a été suspendue mais non abandonnée. Il doit être évident pour tous que la force qui arrachera la justice à un gouvernement récalcitrant est celle qui fera abroger la loi Rowlatt, et c’est la force du Satyâgraha, qu’on l’appelle Désobéissance civile ou Non-Coopération.
Un grand nombre de gens appréhendent la venue de la Non-Coopération à cause des événements qui se sont produits l’an passé. Ils craignent la fureur de la foule et la répétition des représailles qui en furent la conséquence et dont il n’y a guère d’exemple plus atroce dans l’histoire des temps modernes. Personnellement je crains moins la fureur du gouvernement que la fureur de la populace déchaînée. Celle-ci est un signe de folie nationale et par conséquent bien plus difficile à maîtriser que la première, limitée à un groupe restreint. Il est plus facile de renverser un gouvernement qui s’est montré incapable de gouverner que de guérir, dans une foule, des inconnus de leur folie. Mais de grands mouvements ne peuvent être arrêtés parce qu’un gouvernement ou un peuple, ou tous les deux perdent la tête. Nous apprenons et profitons par nos fautes et par nos erreurs. Aucun général, digne de ce nom, ne renonce à la bataille parce qu’il a subi des revers ou, ce qui revient au même, parce qu’il s’est trompé. Il nous faut donc entreprendre la Non-Coopération avec confiance et avec espoir. Comme par le passé, nous en marquerons le début par le jeûne et par la prière, indiquant ainsi le caractère religieux de la démonstration. Les affaires devront cesser ce jour là, des réunions auront lieu pour réclamer la révision des conditions de Paix et la justice pour le Pendjab et pour faire comprendre l’importance de la Non-Coopération jusqu’à ce que justice ait été obtenue. L’abandon des titres et des postes honorifiques commencera également en ce jour. On a exprimé, à ce propos, la crainte que l’avis en ait été donné dans un délai insuffisant. Cette crainte se dissipe aisément si l’on considère que le 1er août marque le début de la Non-Coopération. Ce n’est pas le seul jour où l’abandon de titres et de postes honorifiques peut avoir lieu. A dire vrai, je ne m’attends pas à ce qu’on réponde beaucoup à cet appel dès le premier jour. Une propagande vigoureuse sera nécessaire: chaque possesseur de titres devra être prévenu en personne et toutes les raisons pour lesquelles l’abandon demandé est un devoir devront lui être démontrées.
Mais le plus important dans cette campagne de Non-Coopération est de développer l’ordre, la discipline, la coopération parmi le peuple, la coordination parmi les travailleurs pour la cause. Une Non-Coopération pour être efficace dépend d’une organisation parfaite. Les milliers d’hommes qui se pressaient aux réunions dans le Pendjab m’ont convaincu que le peuple désire retirer sa coopération au gouvernement mais qu’il ne sait comment s’y prendre. La plupart ignorent comment fonctionnent les rouages compliqués de la machine gouvernementale. Ils ne se rendent pas compte que tout citoyen soutient silencieusement, mais non moins sûrement, le gouvernement du jour. Tout citoyen est donc par cela même responsable de chaque acte du gouvernement. Et il est absolument juste de sa part de le soutenir tant que les actions du gouvernement sont supportables. Mais quand celles-ci font du tort à lui-même et à la nation, il est de son devoir de lui retirer son appui.
Ainsi que je l’ai déjà dit, tous les citoyens ne savent pas agir d’une façon ordonnée. Le désordre est causé par la colère, l’ordre par une résistance intelligente. La première condition d’un succès véritable est par conséquent de s’assurer d’une absence totale de violence. La violence envers ceux qui représentent le gouvernement ou envers ceux qui ne se joignent pas à nous, c’est-à-dire qui soutiennent le gouvernement, représente un recul de notre cause, l’arrêt de la Non Coopération et le sacrifice inutile de vies innocentes. Ceux qui désirent voir la Non-Coopération réussir au plus vite se rappelleront que leur principal devoir est de veiller à ce qu’un ordre parfait règne autour d’eux.
28 juillet 1920.