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La jeune Inde

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LE SYSTÈME DES CASTES

J’ai reçu plusieurs lettres irritées à propos de mes remarques sur le système des Castes... Le point soulevé par mes correspondants mérite qu’on le considère et qu’on y réponde. Ils déclarent que la conservation du système des castes serait la ruine de l’Inde et que l’esprit de caste a réduit l’Inde à l’esclavage. A mon avis ce n’est pas l’esprit de caste qui a fait de nous des esclaves, c’est notre avidité et notre mépris des vertus essentielles. Si l’Hindouisme ne s’est pas désagrégé c’est à l’esprit de caste que nous le devons.

Comme toutes les autres organisations le système des castes a souffert d’excroissances malignes. Je ne considère fondamentales, naturelles et essentielles que les quatre divisions[73]. Les innombrables subdivisions peuvent parfois être commodes mais elles sont souvent gênantes. Plus tôt la fusion aura lieu, mieux cela vaudra. La suppression et la reconstitution silencieuses des subdivisions ont toujours eu lieu et continueront forcément. On peut être certain que l’influence sociale et l’opinion publique se mêleront de ce problème. Mais je suis tout à fait opposé à ce qu’on essaye de détruire les divisions fondamentales. Le système des castes n’est pas basé sur l’inégalité, il n’y est pas question d’infériorité et si pareille question se posait, comme à Madras et Maharastra et ailleurs, il faudrait certainement refréner cette tendance. Mais il ne semble pas qu’il y ait une raison sérieuse de mettre fin à ce système à cause de ses abus. Il se prête facilement à la réforme. Il n’est point douteux que l’esprit démocratique, qui s’étend rapidement dans l’Inde, débarrassera cette institution de toute idée de prédominance et de subordination.

L’esprit démocratique n’est pas une chose mécanique qui peut s’ajuster en abolissant les formes extérieures. Il demande une transformation du cœur. Si les castes sont un obstacle au développement de l’âme, l’existence de cinq religions dans l’Inde: l’Hindouisme, l’Islamisme, le Christianisme, le Zorastrianisme et le Judaïsme en sont une également. L’esprit démocratique exige l’inculcation de l’esprit de fraternité et je n’éprouve aucune difficulté à considérer un Mahométan ou un Chrétien comme mon frère, absolument comme s’il était frère par le sang, et si l’on doit à l’Hindouisme la doctrine des castes on lui doit aussi d’avoir inculqué la fraternité essentielle non seulement des hommes mais de tout ce qui vit.

Un de mes correspondants suggère que nous abolissions les castes pour adopter le système Européen des classes, voulant dire sans doute qu’il faut supprimer l’hérédité des castes. Je suis porté à croire que la loi de l’hérédité est une loi éternelle et que toute tentative pour la transformer doit forcément conduire ainsi qu’il est déjà arrivé, au désordre absolu. Je vois une grande utilité à considérer un brahmane comme restant brahmane pendant toute son existence. S’il cesse de se conduire en brahmane il cesse naturellement d’inspirer le respect qui est dû à un véritable brahmane. Il est facile de se rendre compte des difficultés innombrables qui surgiraient s’il fallait organiser des tribunaux pour punir et récompenser, pour dégrader ou pour donner de l’avancement. Si les Hindous croient, ainsi qu’ils doivent le faire, à la réincarnation et à la transmigration des âmes, ils savent que la nature sans se tromper rétablira l’équilibre en dégradant le brahmane s’il se conduit mal et en le réincarnant dans une caste inférieure alors qu’elle maintiendra au rang de brahmane celui qui a vécu en brahmane dans sa présente incarnation.

Je ne considère pas qu’il soit indispensable à l’esprit démocratique de boire, manger en commun et de s’unir par mariage. Je n’envisage pas une universalité de manières et de coutumes sous le plus démocratique des gouvernements. Nous devons chercher l’union dans la diversité... Dans la religion Hindoue il est défendu aux enfants de deux frères de s’épouser. Cette défense n’affecte en rien la cordialité des rapports; il est même probable qu’elle crée des relations plus saines. Dans les intérieurs Vaishnava j’ai vu des mères qui ne mangeaient pas dans la cuisine commune ni ne buvaient au bol commun, sans en devenir pour cela dédaigneuses, arrogantes et moins affectueuses. Ces contraintes disciplinaires ne sont pas mauvaises en soi. Poussées ridiculement à l’extrême elles peuvent être nuisibles et si elles ont pour but d’attribuer une supériorité elles deviennent des faiblesses et par conséquent un mal. Mais avec le temps et à mesure que surgiront des nécessités et des circonstances nouvelles, ces coutumes devront être avec circonspection modifiées et transformées.

Ainsi, tout en étant disposé à défendre comme je l’ai déjà fait la division en quatre castes, je considère l’intouchabilité[74] comme un crime monstrueux, envers l’humanité ainsi que je l’ai souvent répété. Ce n’est pas une marque d’empire de soi, mais une prétention arrogante à la supériorité. Elle n’a jamais servi à rien d’utile et a abaissé un nombre incalculable d’êtres humains, qui non seulement nous valent bien, mais rendent au pays de bien des façons, des services essentiels. C’est un péché dont l’Hindouisme doit se délivrer au plus tôt, s’il veut être considéré comme une religion honorable et ennoblissante. Je ne vois pas une seule raison en sa faveur et je n’ai aucune hésitation à rejeter, dans les Ecritures, les passages, d’un caractère douteux, à l’appui de cette criminelle institution. A dire vrai je rejetterais toute autorité qui serait en contradiction avec la raison pondérée ou les commandements du cœur. L’autorité soutient et ennoblit les faibles lorsqu’elle est l’œuvre de la raison mais elle avilit lorsqu’elle supplante la raison sanctifiée par la «petite voix silencieuse qui est en nous.»

8 décembre 1920.

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