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La jeune Inde

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TROP SACRÉ POUR ÊTRE PUBLIÉ

Il est certaines choses que l’on préfère ne pas voir publiées non parce qu’elles sont secrètes mais parce qu’elles ont un caractère trop sacré. Parfois la version imprimée produit une impression absolument différente de la parole, bien que le reportage en soit strictement exact. Quand je dis à un enfant en plaisantant, ou en fronçant les sourcils, qu’il est un démon, il ne serait pas juste de dire que j’ai appelé quelqu’un démon sans fournir de longues explications donnant les causes et les raisons. Un mauvais service de ce genre m’a été rendu par un reporter animé, je crois, des meilleures intentions à mon égard, dans le compte rendu d’une conversation que j’ai eue et d’un discours que j’ai fait à l’Ashram du Satyagraha et qui a été publié dans la Chronique de Bombay du 2 courant. Il m’est désagréable que l’on fasse de la publicité à des choses de ce genre. Une conversation rapide est pleine d’allusions à demi mot; et à moins d’y ajouter d’abondantes notes il est impossible de la rapporter exactement. On me fait dire, par exemple, que Shantiniketan est pour le progrès matériel, et que Satyagraha Ashram existe uniquement pour le progrès spirituel. Lorsque le Poète lira ceci ou bien il en rira en se rappelant que je suis incapable de dire ou de vouloir laisser entendre une chose pareille de Shantiniketan, ou bien il sera irrité et découragé à la pensée que je manque de sens artistique et d’intelligence au point de ne pas voir ce qu’il y a de spirituel à Shantiniketan. Le Poète, j’en suis persuadé, ne me fera pas l’injure de me juger capable de penser ce qui m’est attribué. Je pourrais dire au poète, comme je l’ai fait d’ailleurs, que Shantiniketan manque de discipline. Il en a ri, a même assumé la responsabilité de ce qui faisait l’objet de ma critique et l’a défendu en disant qu’il était poète et que Shantiniketan était sa distraction, qu’il ne savait que chanter et faire chanter les autres; je pourrais, moi, y introduire toute la discipline que je voudrais; mais lui n’était pas autre chose qu’un poète. Le lecteur doit savoir que j’ai fait plusieurs séjours au Shantiniketan. J’ai la permission de le considérer comme une retraite et comme une demeure. Mes fils y ont vécu lorsque j’étais en Europe, ainsi qu’à Gurukula. Ma conversation avec le professeur hindou venait de notre commune affection pour Shantiniketan. Comment Shantiniketan pourrait-il être autrement que spirituel lorsque l’auteur de la poésie purement spirituelle y est l’esprit qui domine. Je ne suis pas assez stupide pour supposer qu’un endroit où vit Debendranath Tagore puisse manquer de spiritualité. Les lecteurs de la Jeune Inde savent que de temps en temps j’ai reçu de Shantiniketan un breuvage spirituel que m’envoyait Barodada[91] qui veille incessamment sur moi et prie pour le succès de ma mission. Je m’empresse de dire au lecteur que je considère un grand nombre de professeurs et de maîtres de Shantiniketan comme des hommes d’une haute spiritualité et d’une grande noblesse et que c’est pour moi un privilège de les connaître. Je dois ajouter pour plus ample information que je considère la province du Bengale comme la plus spirituelle de toutes. La conversation si malencontreusement reproduite avait eu lieu sur un ton de plaisanterie. J’ai souvent déclaré à ceux qui aiment Shantiniketan que la spiritualité était plus grande à l’Ashram qu’à Shantiniketan; mais dans cette rivalité il ne faut pas voir une prétention de supériorité. Je désire ardemment que l’Ashram reste caché aux yeux du public. Nous y sommes un groupe de travailleurs pour la cause, humbles et peu savants, qui connaissons nos faiblesses et essayons de les comprendre encore davantage. Nous cherchons avec ardeur à découvrir la vérité et désirons vivre et mourir pour elle. On ne devrait jamais essayer de comparer deux institutions analogues, mais non identiques. S’il fallait comparer cependant, je dirais que, malgré la discipline de l’Ashram et son lever matinal, je voterais avec sincérité pour Shantiniketan, parce qu’il est le frère aîné, bien plus avancé en âge et, je le sais, en sagesse également. Il y a un «mais» cependant; il faut que les habitants de Shantiniketan prennent garde à l’avance de la petite retraite du Gujerat ailleurs.....

9 janvier 1922.

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