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La jeune Inde

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SOURCES RELIGIEUSES A L’APPUI DE LA NON-COOPÉRATION

Ce n’est pas sans la plus grande répugnance que j’engage une controverse avec un chef aussi érudit que Sir Narayan Chandavarkar. Mais comme auteur du mouvement de Non-Coopération le pénible devoir m’incombe d’exprimer mon opinion, même si elle est absolument opposée à celle des chefs que je respecte. Sir Narayan et moi semblons nous placer à différents points de vue lorsque nous lisons la Bible, la Gita et le Koran, ou tout au moins semblons les interpréter différemment. Il semble que nous donnions aux mots Ahimsa (Non-Tuer), en politique et en religion, un sens différent. Je vais essayer d’exprimer clairement ce que j’entends par ces termes courants et comment je comprends les différentes religions.

Je puis tout d’abord assurer à Sir Narayan que mon opinion n’a pas changé au sujet d’Ahimsa. Je crois toujours que l’homme, n’ayant pas reçu le pouvoir de créer, n’a pas le droit de détruire même la plus infime créature. La prérogative de détruire appartient uniquement au Créateur de tout ce qui vit. J’accepte l’interprétation de Ahimsa, à savoir que ce n’est pas seulement un état négatif consistant à ne pas faire de mal, mais un état positif, consistant à aimer, faire le bien, même à celui qui fait le mal. Mais cela ne veut pas dire aider celui qui fait le mal à continuer à commettre l’injustice ou le tolérer par notre consentement passif. Au contraire l’amour, l’état actif d’Ahimsa demande que l’on résiste à celui qui fait le mal en se séparant de lui-même, s’il doit en être offensé ou blessé physiquement. Par exemple si mon fils mène une existence dissolue, je ne dois pas l’y encourager en continuant à subvenir à ses besoins, mon amour pour lui m’oblige au contraire à lui retirer mon aide, même s’il doit en mourir, et le même amour m’impose l’obligation de lui ouvrir les bras quand il se repent. Mais je n’ai pas le droit de l’obliger à s’amender en employant la force brutale. Telle est selon moi la morale de l’histoire de l’Enfant Prodigue.

La Non-Coopération n’est pas un état passif, c’est un état intensément actif plus actif que la résistance physique ou la violence. Le terme: résistance passive, est une erreur. La Non-Coopération, dans le sens où je l’emploie, doit être non-violente et par conséquent ne punit pas, n’est pas vindicative et n’a pour base ni mauvais vouloir, ni haine. Il s’ensuit donc que ce serait de ma part un péché de servir le Général Dyer et de coopérer avec lui pour tirer sur des innocents; mais ce serait de ma part faire œuvre de pardon et d’amour que de le soigner et de lui sauver la vie s’il était dangereusement malade. Je ne puis employer ici le mot coopération comme Sir Narayan le ferait probablement. Je coopérerais mille fois avec le gouvernement actuel pour lui faire abandonner sa carrière criminelle, mais je n’entends pas coopérer un seul instant avec lui pour l’y encourager. Et je serais coupable d’une mauvaise action si je conservais un titre reçu de lui, une fonction dépendant de lui, ou si je soutenais ses tribunaux et ses écoles. Je préfère infiniment l’écuelle du mendiant aux plus riches biens offerts par ceux dont les mains sont encore souillées du sang versé au Jallianwala Bagh. Je préfère un mandat d’arrêt aux paroles mielleuses de ceux qui ont blessé les sentiments religieux de soixante-dix millions de mes frères musulmans.

Mon interprétation de la Gita est diamétralement opposée à celle de Sir Narayan. Je ne puis croire que la Gita enseigne la violence pour faire le bien. C’est avant tout une description du duel qui a lieu dans notre propre cœur. L’auteur divin s’est servi d’un événement historique pour inculquer cette leçon qu’il faut faire notre devoir au péril même de notre existence. Il inculque l’accomplissement de notre devoir, quelles qu’en puissent être les conséquences, car nous autres mortels, entravés par notre corps, ne pouvons contrôler que nos propres actions. La Gita distingue entre la puissance de la lumière et la puissance des ténèbres et démontre leur incompatibilité.

Jésus, selon mon humble opinion, était le prince des politiques. Il rendait à César ce qui appartenait à César. Il donnait au diable ce qui lui était dû. Il ne cessa de le fuir et il est dit que pas une seule fois il ne succomba à ses incantations. La politique de son temps consistait à chercher le bien du peuple en lui enseignant à ne pas se laisser séduire par le faux clinquant des prêtres et des pharisiens. Ces derniers dirigeaient et modelaient alors l’existence du peuple. De nos jours, le Gouvernement touche à chaque circonstance de notre vie. Il menace notre existence même. Il va de soi que si nous voulons préserver le bien de la nation il faut nous intéresser religieusement aux actes de ceux qui gouvernent, exercer sur eux une influence morale et insister pour qu’ils obéissent aux lois de la morale. Le général Dyer par son acte de sauvagerie a produit certainement un «effet moral». Ceux qui ont pour tâche de faire avancer le mouvement de Non-Coopération espèrent produire un effet moral par l’abnégation, le sacrifice et la purification de soi-même...

25 août 1920.

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