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La jeune Inde

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MESSAGE DE MADAME GANDHI

Chers Compatriotes et Chères Compatriotes,

Mon mari a été condamné aujourd’hui à six années de prison. Je ne saurais nier qu’une peine aussi sévère ne m’ait été très dure. Je me suis consolée cependant, en me disant qu’il n’est pas au-delà de notre pouvoir de réduire cette peine et par nos efforts de le délivrer avant la fin.

Je ne doute pas que si l’Inde se réveille et se met sérieusement au programme constructif du Congrès, non seulement nous parviendrons à obtenir sa liberté, mais aussi à résoudre d’une façon satisfaisante les trois questions pour lesquelles nous avons lutté et souffert depuis dix-huit mois.

Le remède est donc entre nos mains. Si nous échouons, ce sera notre faute. Je fais donc appel à tous les hommes et à toutes les femmes ayant de la sympathie pour mon mari, et je leur demande de concentrer tous leurs efforts sur le programme constructif, afin qu’il réussisse entièrement.

Parmi les diverses questions au programme, il insista particulièrement sur le rouet et sur le Khaddar. Notre succès dans ces deux questions résoudra non seulement le problème économique pour les masses, mais nous affranchira également de l’esclavage politique.

La première réponse de l’Inde à la condamnation de M. Gandhi doit donc être:

1o Que tout homme et toute femme cesse d’employer le tissu étranger, adopte le Khaddar et persuade aux autres d’en faire autant;

2o Que toute femme considère comme son devoir religieux de filer chaque jour et persuade aux autres de faire de même;

3o Que tout marchand cesse d’acheter et de vendre des pièces de tissu étranger.

Kasturibai Gandhi.

NOTES


[1] Je ne m’excuse pas du mot «épée», employé au sujet du Christ indien. On va voir que lui-même l’a revendiqué pour sa croisade d’abnégation.

[2] P. 105-110. Article du 22 décembre 1920: Le Péché du Secret.

[3] On sait que c’est le sens du nom: Mahâtmâ.

[4] P. 60.

[5] «... Pareil à l’homme de science, je fais des expériences sur certaines vérités éternelles de la vie...» (p. 62, 12 mai 1920)—«... Depuis 1894, j’ai fait des expériences sur moi et sur mes amis...» (p. 63, ibid.).—«La région de l’Inde, où l’expérience (Désobéissance Civile) a lieu...» (10 novembre 1921)—«Est-ce que je ne tente pas une expérience vaine?...» (2 mars 1922)... etc.

[6] P. 109.

[7] P. 109.

[8] P. 37-39. «La Non-Coopération est peut-être en avance sur son temps. En ce cas, il faudra que l’Inde et le monde entier attendent...» Mais cela ne touche pas à sa valeur. (1er juin 1921).

[9] «... Mon désir intense de me perdre dans l’éternel et de devenir un simple morceau d’argile entre les mains du Divin Potier, afin que mes services deviennent plus certains, n’étant plus entravés par mon être inférieur...» (17 novembre 1921).

[10] p. 62.—Et encore: «Je ne puis voir qu’indistinctement, comme dans un miroir... Ce sont des méthodes lentes et laborieuses, qui ne réussissent pas toujours...» (17 novembre 1921).

[11] Lire p. 33-35, note 1, l’extraordinaire article du 23 juin 1919: «Il se passera peut-être un temps considérable avant que la Loi d’Amour soit reconnue dans les affaires internationales... Jusqu’au jour où une énergie nouvelle est captée et dirigée, les capitaines d’énergies anciennes la traiteront d’idéaliste et d’utopique... L’ingénieur électricien fut traité de maniaque et de fou dans les milieux de locomotion à vapeur, jusqu’au jour où un travail s’accomplit, grâce aux fils électriques. Il faudra peut-être longtemps pour poser les fils d’Amour international; mais... à considérer les derniers événements en Europe et en Asie orientale, dans ce qu’ils ont d’essentiel, il nous serait possible de voir que le monde en arrive peu à peu à comprendre qu’il en est entre nations, comme entre individus; que la force seule est impuissante à résoudre les problèmes, et que la sanction économique de Non-Coopération est beaucoup plus efficace que les armées et les marines.»

[12] 20 avril 1921.

[13] p. 64.

[14] «En enseignant au faible l’action directe,.. je lui donne le sentiment d’être fort et capable de défier la force physique. Il se sent ragaillardi par la lutte, il reprend conscience de soi, et sachant qu’en lui-même il trouvera le remède, il cesse de nourrir dans son sein l’esprit de vengeance...» (p. 65).—Cf. la lettre au Vice-Roi: la Non-Coopération est, dit-il, «une forme d’action directe»,... le seul dérivatif à la violence. (p. 83).

[15] p. 69-73.—16 juin 1920.

[16] p. 106.

[17] 2 mars 1922.

[18] p. 108.

[19] p. 108.

[20] p. 95.

[21] 25 février 1920.

[22] p. 95.

[23] p. 101.

[24] 17 novembre 1921.

[25] Ibid.

[26] p. 339.

[27] 27 octobre 1920.

[28] 15 août, 23 septembre 1921.

[29] p. 119.

[30] p. 107.

[31] Lire le curieux article: «Mon Inconséquence», 23 février 1921,—où il explique sa campagne de recrutement en 1914. Sa foi dans l’Ahimsâ (Non-Violence) est, dit-il, absolue. Mais la plupart des hommes ne croient pas à l’Ahimsâ; ils croient à la Violence; et pourtant ils refusent de faire leur devoir selon le monde de la Violence,—leur devoir national et patriotique.—«Je le leur expliquai, écrit Gandhi. Je leur expliquai aussi la doctrine d’Ahimsâ et les laissai choisir. C’est ce qu’ils ont fait. Je ne m’en repens pas. Car même sous le Swarâj (c’est-à-dire dans une Inde libérée), je n’hésiterais pas à conseiller à ceux qui auraient le désir de prendre les armes de se battre pour leur pays».

Ainsi, quand il ne peut communiquer aux autres sa foi, il les aide à dégager leur foi propre, qui purifie (relativement) leurs instincts emportés.

[32] p. 33-39. Article sur la Non-Violence.

De même, à propos de son fameux livre sur l’Hind Swarâj (Home Rule de l’Inde): «Je tiens à prévenir le lecteur qu’il ne doit pas s’imaginer que je cherche l’H. S. tel qu’il y est décrit. Je sais que l’Inde n’est pas mûre pour cela... Je travaille individuellement pour arriver à la maîtrise personnelle qui y est décrite; mais aujourd’hui, je consacre mon activité publique au Swarâj parlementaire, tel que le désire le peuple.»

Toujours cette vue à plusieurs plans, ce sens aigu des différences de devoirs inégalement répartis sur terre. Ils s’accordent sans doute avec sa conception hindoue des castes et des dharmas différents.

[33] «A tout Anglais habitant l’Inde»:—«Je serais presque tenté de vous proposer de vous joindre à moi, pour détruire un système qui vous a fait descendre si bas, vous et nous...» (13 juillet 1921).

[34] Voir surtout l’Ethique de la Destruction (1 septembre 1921).

[35] 2 mars 1922.

[36] 4 juillet 1920.

[37] p. 127.

[38] Le Cabinet britannique avait annoncé l’intention d’accorder à l’Inde des réformes constitutionnelles importantes.

[39] Satyâgraha, étymologie: Satya juste, droit. Agraha tentative. Essai juste. On l’appliqua spécialement à la Non-acceptation de l’injustice par la maîtrise de soi.—Voir: Romain Rolland: Mahâtmâ Gandhi, p. 52, note 2.

[40] «Arrêt de travail». Jour de prières et de jeûne.

[41] Khilafat-Day: la Journée du Califat. Imposante démonstration, pour protester contre les atteintes aux droits du Calife (Sultan) par les gouvernements Alliés d’Europe.—Voir Romain Rolland, d. c. p. 63-64.

[42] Le grand serpent sur lequel est couché le dieu Vishnu.

[43] Swadeshi, étymologie:—Swa, Self,—Soi-même, Deshi, pays. Emploi exclusif des produits du pays.—(Voir R. Rolland, op. c. p. 71 et suiv.).

[44] R. Rolland: op. c. p. 72.—Le Swadeshi est l’affirmation de l’ordre nouveau. La Désobéissance Civile est la négation de l’ordre ancien.

[45] Swarâj, étymologie: Swa, Self, soi-même. Râj, gouvernement.—Self-government.

[46] En Sud-Afrique. (R. Rolland, o. c. p. 17-23, p. 53 et suiv.).

[47] Indentured Indians.

[48] Voir R. Rolland, o. c. p. 27 et suiv. Les Bills Rowlatt, présentés en février 1919, suspendaient les rares libertés existantes dans l’Inde.

[49] Sabha: Conseil, Assemblée.

[50] Paysans.

[51] Banias et Patidars: deux classes de marchands.

[52] Cette conférence avait été précédée le 17 octobre de la Journée du Califat (Khilafat Day). Le 22 du même mois, dans la Jeune Inde, Gandhi écrivait:

«Le 17 octobre sera longtemps considéré comme une journée mémorable dans l’histoire de l’Inde. Qu’une démonstration comme celle qui fut organisée le 17 courant ait pu avoir lieu sans le moindre obstacle est à l’éloge des organisateurs, et assurément une victoire remportée par le Satyâgraha. On commence à se rendre compte que ce n’est pas par la violence que les grandes causes se gagnent, mais par un accord paisible et un effort soutenu.

«Dès que le peuple cessera de craindre la force, le Gouvernement s’apercevra qu’elle ne sert à rien et que seuls ceux-là qui ne la craignent point se refusent à l’employer. Ceux qui sont au pouvoir se plaisent en général aux démonstrations violentes du peuple. L’art de gouverner consiste à avoir à sa disposition des forces suffisantes pour contraindre par la terreur le peuple à la soumission. Et un gouvernement n’est un instrument de service qu’autant qu’il est fondé sur la volonté et le consentement du peuple. Il n’est qu’un instrument d’oppression lorsqu’il obtient l’obéissance à la pointe des baïonnettes... Les organisateurs de la Journée du Califat semblent avoir compris le principe fondamental du Satyâgraha. Ils auraient fait le jeu de leur adversaire, si directement ou indirectement ils avaient incité à la violence ou même si la violence avait résulté de la démonstration.

La cause de l’Islam a gagné par la nature pacifique de la démonstration. Et l’organisation de la police à Bombay mérite les louanges les plus grandes, car à Bombay de même qu’à Ahmedabad, aucune mesure de précaution particulière ne semblait avoir été prise. Absence de tout déploiement de forces. La présence de forces policières et de troupes irrite toujours la populace. Les organisateurs méritent des louanges analogues pour avoir évité des rassemblements et tout ce qui tend à réunir des multitudes ignorantes et irresponsables.

La question du Califat est épineuse. Elle a été rendue plus complexe encore par suite de traités secrets. Mais tout espoir n’est pas perdu... Il ne faut ni tapage, ni mise en scène, ni déclamation, ni réclame. Il faut agir tranquillement et sincèrement... Le loyalisme n’est pas un principe immuable, il est un accord réciproque. Un gouvernement loyal envers ses administrés obtient nécessairement leur loyalisme. Quand notre gouvernement cesse d’être loyal, c’est-à-dire s’il devient systématiquement injuste et oppresseur, nous devons sans la moindre hésitation proclamer notre défection, lui retirer notre appui et conseiller cette attitude autour de nous. C’est là une forme de boycottage que nous jugerions de notre devoir si l’occasion s’en présentait. Mais boycotter des marchandises anglaises tout en conservant nos relations avec les Anglais nous semble la plus grande des sottises. Nos amis Mahométans ont une cause beaucoup trop sacrée pour jouer avec l’emploi d’une arme aussi douteuse que celle du boycottage. Ils savent à présent, et le monde entier sait, que leur cause n’est pas seulement celle de quatre-vingt millions de Mahométans, mais également celle de deux cent millions d’Hindous. Le 17 octobre a démontré que le lien qui les unit existe vraiment et qu’il ira en se resserrant de plus en plus. Une Inde forte et unie ne saurait manquer d’être écoutée avec attention et respect par les alliés de la Grande-Bretagne.

[53] En donnant son assentiment à l’Indian Reform Act de 1919, le Roi-Empereur publia une proclamation, dont voici quelques extraits:

«Je désire sincèrement que, dans la mesure du possible, toute trace de ressentiment soit effacée entre Mon peuple et ceux qui sont à la tête de Mon Gouvernement. Que ceux qui ont enfreint les lois dans leur ardent désir de progrès politique les respectent à l’avenir. Qu’il devienne possible à ceux qui sont chargés de maintenir un Gouvernement paisible et calme, d’oublier les folies auxquelles ils ont été contraints de mettre un frein. Une ère nouvelle commence. Qu’elle débute par une résolution générale de la part de Mon peuple et de ceux qui Me représentent de travailler ensemble pour un but commun. Je charge donc Mon Vice-roi d’exercer en Mon Nom et en Ma Personne la Clémence Royale envers les condamnés politiques aussi complètement que la sécurité publique le permet. Je désire que cette même clémence s’étende dans les mêmes conditions aux personnes actuellement en prison ou dont la liberté est restreinte pour avoir commis des délits contre l’Etat ou qui ont enfreint certaines lois particulières et provisoires. Je suis persuadé que la conduite future de ceux qui en profiteront justifiera cette clémence et que dorénavant Mes sujets agiront de telle sorte qu’il ne soit point nécessaire d’appliquer les lois contre de pareilles offenses».

(La Jeune Inde, 26 mai 1920).

[54] Sur le général Dyer et le massacre de Jalliawalla Bagh (12 avril 1919), voir R. Rolland, op. c. p. 60-63.

[55] Pour l’explication de ces deux mots, voir plus haut, p. 4.

[56] Khaddar, ou Khadi: le tissu national indien.

[57] Sanatanis: hindous pratiquants, convaincus.

[58] Une vingtaine des victimes de l’application de la loi martiale au Pendjab firent appel au Conseil Privé, déclarant que le Vice-roi n’avait pas le pouvoir nécessaire pour en décréter les ordonnances et que le jugement des Tribunaux exceptionnels était irrégulier.

[59] Le 23 juin 1919, Gandhi écrivait déjà dans la Jeune Inde:

«Il se passera peut-être un temps considérable avant que la loi d’Amour soit reconnue dans les affaires internationales. Les rouages des gouvernements s’interposent, masquant au cœur d’un peuple le cœur des autres peuples. Et pourtant, si seulement nous considérions les derniers événements internationaux en Europe et en Asie Orientale, en songeant à ce qui est essentiel, il nous serait possible de voir que le monde en arrive peu à peu à comprendre qu’il en est entre nations comme il en est entre hommes; que la force seule est impuissante à résoudre les problèmes et que la sanction économique de Non-Coopération est beaucoup plus efficace que les armées et les marines. Les victoires de la guerre n’ont fait qu’ajouter de nouvelles charges aux nations qui sortirent de la lutte apparemment victorieuses. La question des vivres et de l’industrie dans les nations vaincues est une source d’inquiétude non moins grande pour les vainqueurs que pour ces nations elles-mêmes. Toute l’habileté des gouvernements des nations alliées tend à démontrer, et cela sans rien enlever à la gloire des vainqueurs, qu’ils peuvent rendre le peuple vaincu solvable économiquement, heureux et désireux de travailler pour le reste du monde. Si on lit entre les lignes du court télégramme exposant le programme international du parti républicain en Amérique, on peut voir que le Far West commence à se rendre compte que la sanction définitive d’une Ligue des Nations devrait être, non le cercle vicieux de la force des armées, mais la force de ce qui est internationalement en dehors des lois, c’est-à-dire la Non-Coopération. De là, il serait aisé d’arriver à reconnaître absolument la loi d’Amour. Jusqu’au jour où une énergie nouvelle est captée et dirigée, les capitaines des énergies anciennes la traiteront d’idéaliste, de théorique et de non pratique. Nous pouvons avoir la certitude que le marchand de chevaux se moqua de l’ingénieur qui mit en mouvement la machine à vapeur, jusqu’au jour où il s’aperçut que la machine à vapeur était capable de transporter même ses chevaux. L’ingénieur électricien fut probablement traité de maniaque et de fou dans les milieux de locomotion à vapeur, jusqu’au jour où un travail s’accomplit grâce aux fils électriques. Il faudra peut-être longtemps pour poser les fils d’amour international; mais la sanction de Non-Coopération internationale, telle qu’elle me semble avoir été conçue par le parti républicain en Amérique, est de préférence à la contrainte physique, un progrès sensible vers la solution véritable et définitive...»

[60] Des troubles avaient eu lieu au début de l’année à Chauri-Chaura dans les Provinces Unies; ils forcèrent Gandhi à suspendre la proclamation de la Désobéissance Civile.

[61] Ahimsâ: Non-tuer, Non-Violence.

[62] Sahitaya Sammelans: Congrès Littéraire.

[63] La note suivante parue dans la Jeune Inde donne quelques explications complémentaires sur la position de Gandhi:

«Un Messager de Dieu.—Je viens de recevoir une coupure de journal, où l’on m’attribue l’honneur d’être un messager de Dieu et où l’on me demande si je prétends avoir reçu de Dieu certaines révélations particulières. J’ai déjà parlé des miracles que l’on me prête. Et quant à cette nouvelle fonction, il faut que je la désavoue. Je prie, comme tout bon Hindou. Je crois que nous pouvons tous devenir des messagers de Dieu, si nous cessons de craindre les hommes et ne cherchons que la Vérité de Dieu. Je crois fermement que je ne cherche pas autre chose que la Vérité de Dieu et que je n’ai plus aucune crainte des hommes. Je sens donc d’une façon certaine que Dieu est avec le Mouvement de Non-Coopération. Je n’ai aucune révélation de la Volonté divine. J’ai la foi absolue que Dieu se révèle chaque jour à tout être humain, mais que nous sommes sourds à la «petite voix silencieuse». Nous fermons les yeux et nous ne voyons pas la colonne de feu qui se trouve devant nous. Je sens son omniprésence. L’auteur de l’article peut faire comme moi.»

(La Jeune Inde, 25 mai 1921)

«Un Blasphème.—Un correspondant m’écrit: «J’ai le regret de vous informer que l’on voit constamment des images de vous et d’autres chefs, représentés sous les traits de Shri-Krishna et de Pandavas. N’allez-vous pas profiter de votre influence pour y mettre fin, car cela doit froisser les sentiments religieux d’un grand nombre pour qui, comme pour moi, Shri-Krishna est non seulement un grand homme mais Dieu incarné?»

«Ce correspondant a toute ma sympathie. Je n’ai pas vu les gravures en question, mais je considère que c’est un blasphème de me représenter sous les traits de Shri-Krishna. Je n’ai pas la prétention d’être autre chose qu’un humble travailleur parmi beaucoup d’autres, pour une noble cause qui perdrait plutôt qu’elle ne gagnerait à la glorification de ses chefs. Une cause a de meilleures chances de réussir, lorsqu’on l’examine et qu’on la juge sur son propre mérite. Dans une société qui progresse, les moyens employés doivent toujours être considérés avant les hommes, qui ne sont après tout que des instruments imparfaits travaillant à leur propre réalisation. Je supplierai donc de toutes mes forces les enthousiastes ou les hommes d’affaires entreprenants d’observer le sens des proportions et de supprimer de la circulation toutes images de ce genre, dont l’intention est manifestement de blesser les susceptibilités profondément religieuses.»

(La Jeune Inde, 13 juillet 1921).

«Mon Ambition.—Un correspondant persistant de Simla me demande si j’ai l’intention de former une secte et de prétendre à la divinité. Je lui ai répondu une lettre personnelle, mais il voudrait dans l’intérêt de la postérité que je le déclare publiquement. Je pensais avoir nié dans les termes les plus énergiques toute prétention à la divinité. Je prétends n’être qu’un humble serviteur de l’Inde et de l’humanité, et je voudrais mourir à son service. Je n’ai aucun désir de former une secte, j’ai réellement trop d’ambition pour me contenter seulement d’une secte qui me suive. Je ne représente aucune idée nouvelle. J’essaye de me laisser guider par la Vérité et de la représenter telle que je la connais. Je prétends certainement jeter une nouvelle lumière sur mainte vérité ancienne. J’espère que cette déclaration satisfera celui qui me questionne et d’autres comme lui.»

(La Jeune Inde, 25 août 1921.)

[64] Cette expression sanscrite signifie: «Comme il en est d’une boule de glaise, ainsi en est-il de tout l’univers...»

[65] Magistrat.

[66] Les rapports de Gandhi avec le mouvement sont expliqués en détail, dans la fameuse lettre qu’il adressa au Vice-Roi, pour l’inauguration de la Non-Coopération. Il écrit:

«Votre Excellence,

«Comme dans une certaine mesure vous m’avez honoré de votre confiance et que je souhaite sincèrement le bien de l’Empire Britannique, je considère que je dois à Votre Excellence de lui expliquer, et par son intermédiaire, d’expliquer aux ministres de Sa Majesté, mon attitude au sujet de la question du Califat.

«Tout à fait au début de la guerre, alors que j’organisais à Londres un Corps d’Ambulanciers, la question du Califat commençait déjà à m’intéresser. Je sentis combien le petit monde musulman de Londres était ému, lorsque la Turquie décida de mêler son sort à celui de l’Allemagne. Lorsque je rentrai aux Indes en janvier 1915, je retrouvai chez les Musulmans que je rencontrai la même inquiétude ardente. Elle devint intense, lorsque la nouvelle des traités secrets se répandit. Leur esprit s’emplit de méfiance, et le désespoir s’empara d’eux. Déjà à cette époque, je conseillai à mes amis musulmans de ne pas se laisser aller au désespoir, mais d’exprimer leur crainte et leurs espérances, d’une façon disciplinée. Il faut admettre que pendant ces cinq années dernières l’Inde musulmane a su remarquablement se contenir et que les chefs ont su conserver sur les sections turbulentes de la communauté une autorité absolue.

«Les conditions de la paix et la défense qu’en a prise Votre Excellence donnèrent aux Musulmans de l’Inde un coup dont ils se remettront difficilement. Les conditions violent toutes les promesses ministérielles et ne tiennent aucun compte des sentiments musulmans. Je considère qu’étant un Hindou sincère, désirant conserver avec mes compatriotes musulmans les rapports les plus amicaux, je serais un fils indigne de l’Inde si je ne les soutenais, à l’heure de l’épreuve. Leur cause, à mon humble opinion, est juste. Ils déclarent que si l’on respecte leurs sentiments, il ne faut pas «punir» la Turquie. Les soldats musulmans ne se sont pas battus pour infliger à leur propre Calife une punition, ni pour le priver de ses territoires. Pendant la durée entière de ces cinq années, l’attitude des Musulmans a été conséquente avec elle-même.

«Mon devoir envers l’Empire, auquel je dois fidélité, m’oblige à combattre la violence cruelle faite aux sentiments musulmans. Autant qu’il m’est possible d’en juger, la plupart des Hindous et des Musulmans ne croient plus à la justice et à l’honneur britanniques. Le rapport de la majorité du Comité Hunter, la dépêche de Votre Excellence à ce sujet et la réponse de M. Montague n’ont fait qu’augmenter la méfiance.

«Etant donné ces circonstances, il n’y a pas d’autre parti à prendre, pour un homme comme moi, que de rompre tout rapport avec l’administration britannique ou, si je crois encore à la supériorité de sa constitution sur les autres actuellement en vigueur, d’adopter les moyens qui me permettront de réparer le mal qui a été accompli et de faire renaître ainsi la confiance. Je n’ai pas cessé de croire à cette supériorité et je ne désespère pas que d’une façon quelconque justice soit faite si nous savons nous montrer suffisamment capables de souffrir. En vérité, mon opinion sur cette Constitution, c’est qu’elle ne vient en aide qu’à ceux qui s’aident eux-mêmes. Je ne crois pas qu’elle protège les faibles. Elle laisse une entière liberté aux forts, pour qu’ils conservent et développent leur force. Sous cette Constitution, les faibles sont écrasés.

«C’est donc parce que j’ai foi dans la Constitution Britannique que j’ai conseillé à mes amis Musulmans de retirer leur concours au Gouvernement de Votre Excellence, et aux Hindous de se joindre à eux, si les conditions de la paix ne sont pas révisées et réglées d’après les promesses solennelles faites par les Ministres et d’accord avec les sentiments musulmans.

«Trois moyens s’offraient aux Musulmans pour montrer énergiquement leur désapprobation de l’injustice extrême dont les Ministres de sa Majesté s’étaient rendus complices, s’ils n’en ont pas été réellement les auteurs; ce sont:

1o Avoir recours à la violence.

2o Conseiller l’émigration en masse.

3o Ne pas être complice de l’Injustice, en refusant de coopérer avec le Gouvernement.

«Votre Excellence doit savoir qu’il fut un temps où les plus hardis, quoique les moins réfléchis des Musulmans, étaient en faveur de la violence; et l’«Hijrat» (émigration) n’a pas encore cessé d’être un cri de guerre. J’ose prétendre qu’à force de raisonner avec patience, je suis parvenu à détourner le parti de la violence de ses façons de procéder. J’avoue que je n’ai pas réussi (je ne l’ai même pas essayé) à le détourner de la violence pour des raisons morales, mais pour des raisons utilitaires. Le résultat fut en tout cas pour l’instant d’empêcher la violence. Le parti de l’Hijrat a été réprimé, mais son activité n’a pas été complètement anéantie. Je suis persuadé qu’aucune répression n’eût pu empêcher une éruption violente, si le peuple ne lui avait opposé une forme d’action directe qui demandait un sacrifice considérable et qui assurait le succès, une fois adoptée largement par le public. La Non-Coopération était la seule manière digne et constitutionnelle d’une action directe de ce genre. Car c’est un droit reconnu de temps immémorial que le sujet peut refuser son aide au maître qui gouverne mal.

«J’admets cependant qu’il y a de grands risques à ce que la Non-Coopération soit entreprise par des masses. Mais dans une crise comme celle que traversent les Musulmans, il n’existe pas de mesure sans risques qui puisse amener le résultat désiré. Ne pas courir de risques à présent, c’est en provoquer de bien plus grands, sinon la destruction virtuelle de la Loi et de l’Ordre.

«Il reste cependant un moyen d’échapper à la Non-Coopération. La délégation musulmane a demandé à Votre Excellence de diriger vous-même l’agitation, ainsi que l’a fait votre distingué prédécesseur, au moment des difficultés Sud-Africaines. Mais si vous trouvez que cela vous est impossible et si la Non-Coopération devient une nécessité absolue, j’espère que Votre Excellence me fera l’honneur de croire que ceux qui ont suivi mes conseils et moi-même sommes guidés uniquement par un sentiment rigoureux de notre devoir.

«J’ai l’honneur de demeurer le fidèle serviteur de Votre Excellence.

M. K. Gandhi.»

[67] Dans un article du 22 décembre de la même année M. Gandhi exprimera ce qu’il pense du «Péché du Secret».

«Un des fléaux de l’Inde est souvent le péché du secret. Par crainte des conséquences nous conversons à voix basse. Nulle part ce secret ne m’a obsédé comme au Bengale. Tout le monde veut vous adresser la parole «en particulier». J’ai été vivement peiné de voir des jeunes gens innocents regarder autour d’eux avant d’ouvrir la bouche pour s’assurer qu’un tiers ne les écoutait pas. L’on y soupçonne tout étranger de faire partie de la police secrète. On m’a conseillé de me défier des étrangers. Ma coupe de tristesse fut pleine à déborder lorsqu’on m’eût dit que l’étudiant inconnu qui présidait la séance était de la police secrète. Je pourrais citer le nom d’au moins deux chefs éminents et appartenant à la haute société indienne que l’on accuse d’être des espions du gouvernement.

Je remercie Dieu d’être parvenu depuis des années à considérer le secret comme un péché, surtout en matière politique. Si nous avions conscience que Dieu est présent et qu’il est témoin de tout ce que nous faisons, nous n’aurions rien à cacher à personne ici-bas. Nous n’oserions avoir de mauvaises pensées devant notre Créateur et encore moins les exprimer. L’impureté seule cherche l’obscurité et le secret. La tendance de la nature humaine est de cacher ce qui est sale, nous n’aimons ni toucher ni voir les choses malpropres; nous les dissimulons. Et ainsi en est-il de nos paroles... Le moyen le meilleur et le plus rapide de nous débarrasser de cette police secrète dégradante et corrosive est de faire un effort pour penser tout haut, de n’avoir de conversation privée avec personne et de cesser de craindre les espions. Il faut ignorer leur présence et traiter chacun comme un ami qui possède le droit de connaître toutes nos pensées et tous nos projets.

Je sais que j’ai atteint les résultats les plus satisfaisants en développant au grand jour mes plans les plus hardis. Je n’ai jamais perdu une seconde de ma tranquillité parce qu’il y avait des détectives près de moi. Le public ignore peut-être que, pendant toute la durée de mon séjour dans l’Inde, j’ai été filé. Non seulement je n’en ai éprouvé aucun ennui mais j’ai même accepté quelques services amicaux de la part de ces messieurs et certains se sont excusés d’être forcés de me suivre. En général ce que je disais devant eux, tout le monde en avait déjà connaissance. Il en résulte qu’à présent je ne fais pas même attention à leur présence et je doute que le gouvernement soit beaucoup plus avancé parce que mes actions ont été surveillées par ses agents secrets...».

[68] Lord Sinha, célèbre magistrat indien qui fut l’un des délégués à la Conférence de la Paix.

[69] M. Willoughby «Deputy Commissioner» venait d’être assassiné par un monomane musulman.

[70] Mob: anglais pour populace.

[71] M. Gandhi écrit dans la Jeune Inde du 27 octobre 1920 sous le titre «Notre dernier voyage».—Mon expérience s’enrichit tellement à chacun de mes voyages qu’il m’est difficile d’en donner au lecteur un compte rendu régulier. Il faut donc que je me contente d’ajouter à notre fonds en parlant de la nécessité de la discipline et de l’organisation. J’ai déjà raconté nos expériences jusqu’au voyage à Cawnpore. J’appréhendais notre arrivée... Les dispositions prises à la gare ne laissaient rien à désirer. Une foule énorme était venue à notre rencontre, mais la discipline était si parfaite que nous pûmes passer entre deux rangées serrées d’hommes sans qu’un seul bougeât avant que nous ayons pris place dans les automobiles. Ce qui aurait pu nous faire perdre une demi-heure prit cinq minutes. Le cortège avait été heureusement supprimé. Le programme de la journée était organisé avec autant de méthode que la réception à la gare. Nous étions arrivés à huit heures et n’avions qu’une journée à notre disposition, mais dans cet intervalle, il nous fut possible d’assister à une réunion des travailleurs, d’avoir une entrevue personnelle avec M. Frazier Hunt du Chicago Tribune, de nous rendre au Home pour les Veuves, d’inaugurer l’Ecole nationale de Gujerati, d’assister à une réunion des dames du Gujerat, d’inaugurer un tribunal national d’arbitrage, d’assister à une réunion en plein air et enfin de causer avec les visiteurs. Tout cela eut lieu sans précipitation et sans fatigue inutile. Il y eut un peu de confusion tout d’abord à la réunion en plein air. Nous apprîmes qu’aucun ordre n’avait été donné aux volontaires, mais après quelque difficulté un silence parfait régna, et l’auditoire écouta dans le silence le plus absolu trois solides discours. Je suis convaincu que dès que nous serons organisés le «Swaraj» sera établi. Dans un pays comme le nôtre il suffit du refus organisé de nous laisser gouverner par une puissance étrangère... Le voyage de nuit jusqu’à Bhiwani ne nous laissa pas une seconde de repos. La foule insista pour que nous nous montrions. Quelqu’un fit entendre que les «Mahatmas» n’avaient pas besoin de repos et que c’était leur devoir de se montrer. Certains devinrent positivement furieux parce que nous refusâmes énergiquement de nous lever. Un autre fit la remarque qu’il était très imprudent de notre part de ne pas respecter le désir du peuple en nous levant pour nous laisser voir. Enfin, n’ayant pas dormi nous atteignîmes Bhiwani. Environ 40.000 personnes étaient venues des villages d’alentour. Je craignais que nous ne fussions complètement écrasés mais à mon agréable surprise l’ordre fut parfait. Ni bousculade ni allées et venues inutiles et bruyantes à la gare, chacun resta à sa place. La procession s’organisa sans difficulté malgré une foule compacte. L’ordre au Pandal fut encore plus remarquable. C’était une immense construction sans aucune prétention artistique. Il n’y avait pas de chaises même pour le Président. Les visiteurs de marque étaient assis sur une estrade massive et pratique construite au centre du Pandal. Bien qu’il y eût plus de douze mille personnes, le Pandal semblait spacieux. On y accédait par de larges voies. Le sol était creusé de façon à s’incliner vers le centre. Il était possible à tous de voir sans difficulté. Ma seule remarque c’est que le demi-cercle est préférable, aucune place ne devant se trouver derrière l’estrade...

M’étant renseigné j’appris que cette fois la foule était venue des alentours uniquement pour nous voir. L’obligation de se montrer est devenue des plus embarrassantes et prend beaucoup de temps. Elle m’oblige à une tension nerveuse excessive et me prive de la tranquillité dont j’aurais besoin pour écrire pendant les rares instants dont je dispose pendant mes voyages. Un manque de réflexion en est largement responsable. Il faut que les travailleurs pour la cause organisent ces manifestations avec méthode ou qu’elles soient tout à fait supprimées. Heureusement qu’elles sont amicales et n’occasionnent jamais de troubles. Mais imaginez la confusion si nous entreprenions des manifestations hostiles. Qu’arriverait-il s’il nous fallait diriger de telles foules sous le feu ou si elles étaient excitées par la colère? Je me rendis compte à Tundla que la Désobéissance Civile en masse était impossible avec une foule comme celle qui s’y trouvait. Nous ne pouvons rien accomplir d’efficace si nous n’avons la certitude lorsque nous communiquons nos instructions d’être obéis implicitement. Il faut donc que les «volontaires» apprennent à diriger la foule. Une foule indienne devient aisément des plus dociles et des plus maniables, seulement il faut l’y préparer. Et quand elle ne l’est pas il est plus sage de ne pas organiser de rassemblements.

[72] Voir les articles suivants page 160.

[73] Brahmane, Kshattriya, Vaiçya et Çoûdra: (philosophe et éducateur; administrateur et soldat; commerçant et pasteur; artisan et tâcheron.)

[74] Le 27 octobre 1920 sous le titre «Classes déprimées» M. Gandhi avait écrit un article sur la question des intouchables.

Vivekananda appelait les Panchamas «classes supprimées.» Sans nul doute son épithète est plus exacte que la mienne. Nous les avons supprimés et nous nous sommes déprimés nous-mêmes. C’est à la justice vengeresse mesurée par un Dieu juste que nous devons, selon Gokhale, d’être devenus les parias de l’Empire. Un correspondant me demande avec indignation ce que je fais pour eux. Nous autres Hindous ne devrions-nous pas laver nos mains sanglantes avant de demander aux Anglais de laver les leurs? La question est juste et opportune. Et s’il était possible à un membre d’une nation esclave de délivrer de leur esclavage les classes supprimées sans s’affranchir du sien je le ferais immédiatement. Mais c’est une tâche impossible. Un esclave n’a même pas la liberté nécessaire pour faire ce qu’il doit... Si j’avais une législature vraiment nationale je répondrais à l’insolence hindoue en faisant construire des puits spéciaux pour les classes supprimées, je créerais des écoles plus nombreuses et meilleures pour qu’il ne reste pas un seul intouchable ne sachant où envoyer ses enfants, mais je dois attendre encore ce jour meilleur.

Faut-il entre temps laisser les classes déprimées s’arranger comme elles peuvent? Certes non.—Personnellement j’ai fait et fais encore à mon humble façon ce que je peux pour mes frères Panchamas.

Ces membres de la nation foulés aux pieds ont trois ressources. S’ils sont impatients ils peuvent demander l’appui du Gouvernement qui est le maître des esclaves. Ils l’obtiendront mais le remède sera pire que le mal. Aujourd’hui ils sont les esclaves d’esclaves. S’ils cherchent l’appui du Gouvernement celui-ci se servira d’eux pour anéantir leurs propres frères. Au lieu que l’on continue à pécher envers eux ce sont eux qui pécheront envers les autres. Les Musulmans ont essayé sans succès, ils se sont aperçus qu’ils perdaient au lieu d’y gagner. Les Sikhs le firent imprudemment et échouèrent; nulle communauté de l’Inde n’est plus mécontente que la leur. L’aide du Gouvernement n’est donc pas une solution.

La seconde serait pour eux de renoncer à l’Hindouisme ou de se convertir en bloc à l’Islamisme ou au Christianisme. Si une amélioration matérielle pouvait excuser que l’on renie sa religion je n’hésiterais pas à le conseiller. Mais la religion est une question de cœur. Il n’est pas d’incommodité physique qui puisse vous autoriser à renier votre religion. Si la façon inhumaine de traiter les Panchamas faisait partie de l’Hindouisme, le renier deviendrait un devoir pour eux et pour ceux qui comme moi ne faisons pas un fétiche de la religion et n’excusons pas tous les maux en son nom. Mais je suis persuadé que l’Intouchabilité ne fait pas partie de l’Hindouisme. C’en est plutôt une excroissance qu’il faut détruire à tout prix. Et il existe une véritable armée de réformateurs hindous qui ont à cœur de débarrasser l’Hindouisme de cette souillure. Je considère par conséquent que la conversion ne serait point un remède.

Il leur reste enfin la ressource d’agir par eux-mêmes et de se défendre avec l’aide que les Hindous non-Panchamas leur donneront, non par protection mais par devoir. Voilà où la Non-Coopération pourrait servir. Je serais, en effet partisan d’une Non-Coopération méthodique pour remédier à ce mal reconnu. Mais la Non-Coopération signifie indépendance absolue de toute aide extérieure, c’est un effort intérieur. Vouloir absolument pénétrer dans les enceintes défendues ne serait pas de la Non-Coopération. Ce pourrait être considéré comme de la Désobéissance Civile si c’était accompli pacifiquement. Mais j’ai découvert à mes dépens que la Désobéissance Civile demande une préparation préliminaire bien plus grande et beaucoup plus d’empire sur soi-même. Tout le monde peut non-coopérer, mais il en est peu qui soient capables de Désobéissance Civile. Pour protester contre l’Hindouisme les Panchamas peuvent donc cesser tout contact et tous rapports avec les autres hindous tant que les causes de leur grief persisteront. Mais si je ne me trompe les Panchamas n’ont pas de chef capable de les conduire à la victoire par la Non-Coopération.

Le meilleur moyen serait donc que les Panchamas se joignissent au grand mouvement national pour libérer l’Inde de l’esclavage auquel la soumet le Gouvernement actuel. Il est facile à nos amis Panchamas de voir que la Non-Coopération contre ce gouvernement malfaisant suppose une coopération entre les différentes sections qui composent la nation indienne. Les Hindous doivent comprendre que s’ils veulent non-coopérer avec succès il leur faut faire cause commune avec les Panchamas comme ils ont fait cause commune avec les Musulmans. La Non-Coopération sans violence est essentiellement un mouvement de purification personnelle intensive. Cette opération a déjà commencé, et que les Panchamas y prennent part volontairement ou non, les autres Hindous n’oseront pas les laisser de côté sans nuire à leur propre progrès. Par conséquent, bien que la question des Panchamas me soit aussi chère que l’existence même, je me borne à consacrer toute mon attention à la Non-Coopération nationale. Je suis convaincu que le plus renferme le moins...

[75] Congrès de Nagpur tenu en décembre 1920.

[76] L’interview suivante parue d’abord dans l’Indian Witness de Lucknow et reproduite ensuite dans la Jeune Inde du 25 février 1920 sous le titre «Nettoyez» nous rend encore plus claires les idées de M. Gandhi à ce sujet et donne en même temps son portrait physique et moral.

«Tout en causant avec M. Gandhi je remarquai non sans étonnement la simplicité de son costume. Il était vêtu d’étoffe blanche grossière, un kambal jeté sur ses épaules le protégeait du froid, un bonnet blanc lui couvrait la tête. Il était assis sur le sol en face de moi et je me demandais comment ce petit individu au visage maigre, aux grandes oreilles écartées, aux tranquilles yeux bruns pouvait bien être le célèbre Gandhi dont j’avais tant entendu parler. Mais tous mes doutes disparurent lorsque nous commençâmes à causer. Je n’approuve pas toutes les méthodes de M. Gandhi pour atteindre le but souhaité, mais je tiens à rendre à l’homme ce témoignage: M. Gandhi est un spiritualiste, c’est un penseur. Pendant ma courte entrevue avec lui j’éprouvais ce même sentiment de communion que j’ai éprouvée maintes fois avec les Saints. Je compris que cet homme était allé à la source même de la foi chrétienne et qu’il avait puisé ses connaissances auprès du Christ.

—«M. Gandhi, que peuvent faire les Nations occidentales pour aider au développement de l’Orient et de l’Inde en particulier? M. Gandhi répondit à ma question d’une façon détournée:

—«Pour l’instant, dit-il, l’Inde désapprend. L’Inde a appris une foule de choses inutiles qui ne lui servent à rien. En observant l’Occident et votre pays en particulier j’ai appris deux choses de la première importance, d’abord la propreté, ensuite l’énergie. Je suis absolument convaincu que mes compatriotes ne peuvent progresser spirituellement avant d’avoir fait un nettoyage complet. Votre peuple possède une énergie surprenante; cette énergie est en grande partie dirigée vers un but matériel. Si cette même somme d’énergie pouvait être dirigée convenablement chez le peuple indien, ce serait pour lui un précieux bienfait.

—«Auriez-vous la bonté de me dire ce que le Christianisme peut faire pour aider l’Inde, étant donné l’esprit de nationalisme qui règne à l’étranger?» Il me répondit: «Ce dont nous avons besoin avant tout c’est de sympathie. Lorsque j’étais dans l’Afrique du Sud j’ai découvert cette comparaison. Il me fallait creuser des puits artésiens. Pour atteindre aux sources courantes et pures je devais creuser à une très grande profondeur. Un grand nombre de ceux qui viennent ici afin d’étudier mes compatriotes se contentent de gratter à la surface. Si par leur sympathie ils creusaient profondément ils découvriraient une source de vie pure et claire».

—«Auriez-vous également la bonté de me dire quels livres ou quelles personnes ont exercé sur vous le plus d’influence?» Je m’attendais à ce qu’il me parlât des Vedas et autres livres indiens que devraient connaître les Chrétiens mais je ne m’attendais pas à l’entendre citer trois livres anglais[77] qui avaient dirigé sa vie et formé sa pensée. Il admit franchement qu’il n’était pas lecteur omnivore, qu’il choisissait avec soin ce qu’il y avait de meilleur. Et voici l’ordre dans lequel il me nomma ces livres: La Bible, Ruskin et Tolstoï. Puis parlant de la Bible il me dit: «Il m’est arrivé maintes fois de ne savoir de quel côté me diriger. Je suis allé à la Bible et particulièrement au Nouveau Testament et dans son message j’ai puisé des forces.»

Je tenais beaucoup à savoir ce que notre association de diplômés de l’Université de Meerut qui était composée de l’élite des hommes instruits de cette ville pouvait faire pour en augmenter la prospérité. Il répondit: «Qu’ils soient boueurs». Il ajouta: «j’emploie cette expression dans toute sa force. Si les membres de votre association pouvaient prêter une main charitable pour nettoyer la cité moralement et matériellement ils accompliraient une tâche importante.»

[77] C’est-à-dire lus en anglais. (N. d. T.)

[78] Qu’est-ce que le Swaraj? le Times demande si j’ai des notions précises sur le Swaraj. Si l’auteur veut se reporter aux anciens numéros de la Jeune Inde il trouvera une réponse complète à sa question mais je puis mentionner ici que le Swaraj signifie au moins un accord avec le Gouvernement tel que le désirent les représentants que le peuple s’est choisi. Par conséquent si les représentants du Congrès peuvent appuyer leur demande par un fonds inépuisable de prisonniers ils auront une future importante part à tout accord. Swaraj signifie que l’Inde est capable d’obtenir par son insistance ce qu’elle désire. Je ne partage pas l’opinion du Vice-Roi que le Swaraj à moins qu’il ne vienne par l’épée viendra du Parlement anglais. Le Parlement ne répondra à la demande du peuple que lorsque l’épée l’y aura forcé. Les Non-Coopérateurs cherchent à employer l’épée du sacrifice de soi de préférence à l’épée d’acier. L’âme de l’Inde lutte contre l’acier britannique. Nous n’aurons pas longtemps à attendre avant de voir ce qu’est le Swaraj populaire.

15 décembre 1921.

En quoi consiste le Swaraj? Personne ne peut établir à lui seul un plan de Swaraj parce que ce n’est pas le Swaraj d’un seul qu’il nous faut. Nous ne saurions pas davantage en établir le plan d’avance. Ce qui satisfera la nation aujourd’hui peut et doit le demeurer. La volonté nationale peut changer du jour au lendemain, mais il est possible certainement d’indiquer d’avance les grandes lignes du Swaraj: il faut que les représentants de la nation aient un contrôle absolu sur l’éducation, sur la police, sur l’armée. Il faut que notre contrôle sur les finances soit absolu. Et si nous voulons gouverner nous-mêmes il ne faut pas qu’un seul soldat quitte l’Inde sans notre assentiment.

Qu’adviendra-t-il des Intérêts Européens? les intérêts européens seront en aussi grande sécurité dans une Inde autonome qu’actuellement, mais il n’y aura pas de privilège de supériorité de race, ni de concessions, ni d’exploitation. Les Anglais vivront dans l’Inde comme des amis dans le sens absolu de ce mot mais non pas comme des maîtres. Quant à notre association avec la Grande-Bretagne personne à ma connaissance ne désire y mettre fin pour le plaisir de le faire. Mais si la politique anglaise reste en conflit avec les sentiments musulmans à propos du Califat ou avec ceux de l’Inde pour le Pendjab il faudra que nous obtenions notre indépendance absolue. De toute façon cette association doit avoir lieu de notre plein gré et s’appuyer sur l’affection et sur l’estime.

L’Inde est-elle prête? C’est ce que l’avenir démontrera; pour ma part j’en suis convaincu. Le Swaraj, que réclame le Congrès n’est pas un Swaraj offert par l’Angleterre, c’est le Swaraj tel que le réclame la nation et qu’elle est capable de faire respecter, pareil à celui qu’a obtenu l’Afrique du Sud.

[79] Lorsque M. Gandhi parle de l’Union Hindoue-Musulmane il faut considérer cette expression dans son sens le plus large qui signifie l’Union de toutes les croyances. Voici ce qu’il écrivit dans la Jeune Inde du 15 août 1921 sous le titre Les Chrétiens et la Non-Coopération.

Un Chrétien Indien m’écrit:

«Je suis fâché que vous ne nous considériez pas, nous autres Indiens chrétiens comme faisant partie du peuple de l’Inde. J’ai remarqué bien souvent dans la Jeune Inde que vous parlez des Musulmans, des Hindous, des Sikhs mais jamais des Chrétiens.

«Je voudrais que vous fussiez persuadé que nous, Chrétiens indiens, faisons également partie du peuple de l’Inde et que nous nous intéressons beaucoup aux affaires personnelles de l’Inde. Je suis certain que peu d’Indiens ont pris part à la Non-Coopération aussi complètement que les chrétiens. J’ai pour mon pays une grande affection et suis moi-même un Non-Coopérateur. Je vous promets de vous adresser de temps à autre des nouvelles sur la condition des Indiens en Mésopotamie.»

Je puis assurer à notre correspondant et à tous les autres chrétiens que la Non-Coopération ne tient compte ni de croyances ni de race. Elle les appelle et les admet toutes dans son troupeau. Un grand nombre de chrétiens ont contribué au fonds Tilak pour le Swaraj. Il y a des Chrétiens Indiens au premier rang des Non-Coopérateurs. On parle constamment des Musulmans et des Hindous parce que jusqu’à présent ces derniers se considéraient comme des ennemis. Lorsque dans ces colonnes, une race est mentionnée spécialement c’est qu’il y a pour cela une raison particulière.

(Ce qui précède fut suivi de la note suivante parue le 23 septembre 1921.)

Non-Coopérateurs Chrétiens.—Un étudiant Chrétien m’écrit: «Bien que nous soyons des étudiants Chrétiens vous êtes notre chef national et nous avons le sentiment que c’est de vous que nous devons apprendre ce que l’Inde représente et quel est son héritage spirituel. Voulez-vous me dire quelle est votre opinion sur le Christianisme occidental et me donner quelques suggestions constructives au point de vue de son organisation, de son culte, de son ministère?» Celui qui m’interrogeait ainsi, ignorait qu’il m’entraînait au-delà de mes connaissances. J’éprouve la plus grande joie à voir l’intérêt croissant que prennent les Chrétiens indiens au grand mouvement national. Je sais que des centaines de Chrétiens pauvres de Bombay ont contribué au fonds Tilak pour le Swaraj aussi généreusement que leurs moyens le leur permettaient. Je sais qu’un certain nombre de chrétiens instruits consacrent leurs talents à l’œuvre nationale. Je me propose donc de satisfaire mon lecteur, non comme il l’entend, mais de la seule façon qui me soit possible.

L’Inde de l’avenir immédiat représente la tolérance de toutes les religions. Son héritage spirituel c’est la simplicité de vie et la grandeur de la pensée. Je considère le Christianisme occidental tel qu’on le pratique comme une négation du Christianisme du Christ. Je ne puis m’imaginer Jésus s’il eût vécu parmi nous approuvant les institutions chrétiennes, le culte ou ses ministres modernes. Si les Chrétiens Indiens s’en tenaient au Sermon sur la Montagne que le Christ adressa, non seulement aux disciples pacifiques, mais au monde gémissant, ils ne pourraient se tromper. Ils verraient qu’aucune religion n’est fausse et que si tous vivaient selon leurs lumières et dans la crainte de Dieu, ils n’auraient pas besoin de s’inquiéter d’institutions, de formes du culte, ni de ministres. Les pharisiens avaient tout cela, mais Jésus n’en voulut point parce que leurs fonctions leur servaient à cacher leur hypocrisie ou pire encore. Coopérer avec les formes du Bien, non-coopérer avec les formes du Mal sont les deux choses indispensables pour mener une existence vertueuse et pure, qu’on l’appelle Hindoue, Musulmane ou Chrétienne.

[80] Le 21 juillet 1920 avait paru dans la Jeune Inde un article consacré à La musique du Rouet que nous reproduisons ci-dessous.

Lentement et sûrement la musique du plus ancien instrument de l’Inde pénètre dans la société. Pandit Malavijayi a déclaré qu’il ne serait pas satisfait avant que toutes les Ranis et Mahranis filent pour la nation avant que les Ranas et Mahranas soient assis derrière leurs métiers, tissant les étoffes employées par la nation. Ils ont l’exemple d’Aurangzeb qui fabriquait lui-même ses bonnets. Un plus grand Empereur Kabir, tissait lui aussi et a immortalisé son art. Les reines d’Europe filaient avant que l’Europe se laissât prendre aux pièges de Satan... «Lorsqu’Adam bêchait et qu’Eve filait qui donc était Gentilhomme?» est une phrase qui rappelle l’antique dignité de cet art... Panditji peut à juste titre espérer qu’il entraînera la noblesse de l’Inde à reprendre l’antique profession de notre terre sacrée. La renaissance de sa prospérité et de sa véritable indépendance ne dépend pas du bruit des armes, elle dépend en grande partie de la réintroduction dans chaque intérieur de la musique du rouet. Le chant en est plus doux et plus profitable que la musique exécrable des harmoniums et des accordéons...

Nos lecteurs n’ignorent pas qu’à Bombay les dames de familles nobles se sont déjà mises à filer. La Doctoresse Manekbai Bahudarji essaye actuellement d’introduire cet art qu’elle connaît déjà dans le Sevasadan. Son Altesse la Begum Saheba de Janjira et sa sœur Atia Begum Rahiman se sont également mises à apprendre.

Je sais que certains de mes amis se moquent de la tentative pour faire renaître ce grand art. Ils me rappellent qu’à notre époque de filatures, de machines à coudre et de machines à écrire il n’y a qu’un fou pour espérer faire revivre le rouet tombé en désuétude. Ces amis oublient que la machine à coudre n’a pas encore détrôné l’aiguille et que malgré la machine à écrire, la main a conservé toute sa souplesse. Il n’y a aucune raison pour que les filatures ne demeurent pas à côté du rouet comme la cuisine domestique subsiste à côté des hôtels. En vérité les machines à écrire et les machines à coudre peuvent disparaître, l’aiguille et la plume de roseau continueront à exister, les filatures peuvent être détruites, le rouet est une nécessité nationale. Je voudrais que les sceptiques se rendissent dans les humbles demeures où le rouet de nouveau augmente les faibles ressources et qu’ils demandent à ceux qui y vivent si le rouet n’a pas apporté la joie à leur foyer.

D’ici peu l’Inde possédera un rouet modernisé, invention merveilleuse d’un patient artisan du Deccan. Il est fait de matériaux fort simples, sa fabrication n’a rien de compliqué, il sera peu coûteux et facile à réparer. Il produira une quantité de fil supérieure à celle que produit le rouet ordinaire et peut être mis entre les mains d’un enfant de cinq ans. Mais que ce nouvel instrument donne ou non ce qu’il promet, je suis persuadé que la renaissance de ces deux arts: filage et tissage contribuera beaucoup à la régénération morale et économique de l’Inde. Il faut aux milliers d’individus une industrie simple qui s’ajoute à l’agriculture. Filer était autrefois l’industrie des campagnes et si l’on veut sauver des milliers d’êtres de la faim il faut qu’on leur donne le moyen d’introduire à nouveau le rouet dans leur demeure et que chaque village possède comme autrefois son tisserand.

[81] Dharma: Loi Spirituelle.

[82] Lokamanya veut dire vénéré du peuple.

[83] La Jeune Inde 4 août 1920.

Lokamania Bal Gangadhar Tilak n’est plus. Il est difficile de croire à sa mort. Il était si étroitement uni au peuple. Pas un homme de notre époque ne sut comme lui tenir les masses. Le dévouement qu’il obtenait de milliers de ses compatriotes était extraordinaire. Il était sans aucun doute l’idole de son peuple. Sa parole était loi pour des milliers de gens. Un géant parmi les hommes est tombé. La voix du lion s’est tue.

A quoi fallait-il attribuer l’influence qu’il avait sur ses compatriotes? Je crois que la question est simple. Son patriotisme était une passion. Il ne connaissait d’autre religion que son amour pour son pays. Il était démocrate-né. Il croyait à la loi de la majorité avec une intensité qui m’effrayait presque. Mais c’est à cela qu’il devait sa puissance. Il possédait une volonté de fer qu’il mettait au service de son pays. Son existence était un livre ouvert; ses goûts étaient simples et sa vie privée absolument pure. Il avait consacré à son pays ses merveilleuses facultés. Pas un homme ne prêcha l’évangile du Swaraj avec la logique et l’insistance de Lokamanya. Aussi ses compatriotes avaient en lui une foi absolue. Son courage ne l’abandonna jamais; rien ne faisait fléchir son optimisme. Il espérait voir établir le Swaraj de son vivant et, s’il n’y est point parvenu, ce n’est pas faute d’avoir tout fait pour cela. Il l’a certainement rapproché de nous de bien des années et c’est à nous, ses survivants, de redoubler d’efforts afin de l’obtenir le plus rapidement possible.

Lokamanya était un ennemi implacable de la bureaucratie, ce qui ne veut pas dire qu’il eût de la haine ni pour les Anglais ni pour le Gouvernement anglais. Je mets les Anglais en garde contre l’erreur de croire qu’il fut leur ennemi.

J’ai eu le privilège d’entendre un discours érudit et improvisé qu’il fit à l’époque du dernier Congrès de Calcutta sur le Hindi comme langue nationale. Il arrivait du Pandal, (lieu de réunion) du Congrès. Il rendit hommage avec chaleur au soin que les Anglais ont pris des langues indigènes. Son séjour en Angleterre malgré sa fâcheuse expérience des jurys anglais lui avait donné une foi profonde dans la démocratie anglaise et ce fut sérieusement qu’il fit cette extraordinaire suggestion de la faire connaître au Pendjab au moyen du cinématographe. Je raconte cet incident non parce que je partage sa foi, ce qui n’est point le cas, mais pour démontrer que Lokamanya n’avait pour les Anglais aucune haine. Mais il ne pouvait ni ne voulait admettre que l’Inde pût occuper un rang inférieur. Il voulait pour son pays une égalité absolue à laquelle celui-ci avait droit. Dans sa lutte pour la liberté, Lokamanya ne faisait pas quartier et n’en demandait point. J’espère que les Anglais reconnaîtront la valeur de l’homme que l’Inde adorait.

Les générations à venir le considéreront comme le Créateur de l’Inde Moderne. Elles vénèreront la mémoire de l’homme qui vécut et qui mourut pour elles. L’essence permanente de son être demeure à jamais parmi nous. Erigeons à l’unique Lokamanya de l’Inde un monument impérissable en tissant dans notre existence sa bravoure, sa simplicité, sa merveilleuse activité et son amour pour son pays.

Que Dieu accorde la paix à son âme!

[84] La situation était différente à Madras. M. Gandhi écrit dans la Jeune Inde du 29 septembre 1921 sous le titre: les Panchamas.

Nulle part les Intouchables ne sont aussi cruellement traités que dans la Présidence de Bombay. Leur seule ombre souille les Brahmanes. Ils n’ont même pas le droit de passer par les rues que ceux-ci fréquentent. Les Non-Brahmanes ne les traitent pas mieux. Entre les deux, les Panchamas, ainsi qu’on les appelle, sont écrasés complètement. Et cependant Madras est la ville des temples majestueux et de la dévotion. Avec leurs marques au front (Tilack), leurs longs cheveux bouclés et leur corps nu et propre les habitants ont l’air de Richis; mais dans ces signes extérieurs, leur religion semble s’être épuisée. Il est difficile de comprendre ce Dyerisme envers les citoyens les plus travailleurs et les plus utiles d’un pays qui a produit Shankara et Ramanaya. Et malgré le traitement satanique de nos frères dans cette partie de l’Inde, je conserve ma foi en ces peuples du sud. Je leur ai répété à toutes leurs immenses réunions, en termes qui ne laissaient aucun doute, que le Swaraj ne pourrait exister tant que cette malédiction subsisterait parmi nous.

Je leur ai dit que si nous étions considérés dans le monde entier presque comme des lépreux, c’était un juste retour pour avoir traité comme tels le cinquième de nos compatriotes. La Non-Coopération a pour but de transformer non seulement le cœur des Anglais mais aussi le nôtre. En vérité, j’attends ce changement de nous-mêmes d’abord, puis des Anglais ensuite inévitablement. Une nation qui est capable de rejeter un fléau existant depuis des siècles, une nation qui peut se débarrasser de l’habitude de boire comme on se débarrasse d’un vêtement, une nation qui peut se remettre à son industrie première et tout d’un coup utiliser ses heures de liberté et fabriquer pour 600 millions de roupies de tissus par an, cette nation est une nation régénérée et cette régénération doit réagir sur le monde entier. Elle doit être pour le railleur même une preuve convaincante de l’existence de Dieu et de sa Grâce. Aussi je dis que si l’Inde peut se transformer ainsi il n’est pas de pouvoir sur terre qui puisse nier le droit de l’Inde à établir le Swaraj.

Cette transformation ne peut s’obtenir par une action machinale et compliquée, mais elle peut avoir lieu si dans le cœur de chacun de nous s’opèrent des transformations merveilleuses. En tout cas, c’est le devoir de tout travailleur du Congrès de se montrer l’ami de son frère intouchable et d’intervenir auprès des Hindous, non-hindous afin de leur démontrer que l’Hindouisme des Vedas, des Upanishads, l’Hindouisme de la Bhagavadgita et de Shankara et de Ramanaja, ne renferme rien qui puisse nous autoriser à traiter d’intouchable un seul individu, si déchu soit-il. Que tout membre du Congrès intervienne le plus doucement possible auprès de l’orthodoxie et lui démontre que cette barrière sinistre est la négation même d’Ahimsa.

[85] Voir l’article sur l’Hindouisme.

[86] Tilak.

[87] Gandhi consacre plusieurs articles à ce sujet. Sous le titre «Pourquoi il faut brûler» il explique dans la Jeune Inde du 28 juillet 1921 les raisons pour lesquelles il est nécessaire que le tissu étranger soit détruit par le feu.—1o Il nous rappelle de pénibles souvenirs, il est un signe de notre déchéance, la Compagnie des Indes nous l’ayant imposé il est un symbole d’esclavage.—2o Il ne faut pas donner les vêtements confectionnés avec ce tissu aux pauvres, car ceux-ci ne doivent pas être insensibles au patriotisme, à la dignité et au respect. Et en somme, c’est faire d’un acte de renonciation un acte profitable qu’envoyer à Smyrne ou même à l’étranger tout tissu mis au rancart. Pourtant il y a moins d’objections au point de vue moral à l’envoyer à l’étranger qu’à l’utiliser dans notre pays.

Le 11 août paraissait dans la Jeune Inde ce qui suit.

Destruction par le feu à Bombay: Ceux qui auraient pu conserver quelques doutes sur la nécessité et sur la valeur pratique de la destruction par le feu des vêtements étrangers, et qui ont assisté à la cérémonie qui eut lieu à Parel dans la cour de Mr. Sobani, ont dû les perdre. Ce spectacle dont furent témoins des milliers de spectateurs fut des plus exaltants. Lorsque la flamme s’élança, enveloppant la pyramide tout entière, une clameur de joie retentit. Il semblait que les chaînes qui nous retenaient prisonniers venaient de se briser. Un souffle de liberté passa sur cette foule. Cet acte noble fut noblement accompli. Je suis persuadé que rien n’aurait pu produire une impression aussi forte sur l’imagination du peuple, au sujet du Swadeshi. Il valait beaucoup mieux que ce ne fussent pas des chiffons, mais les plus beaux saris, des chemises, des habits, qu’on eût livrés à la flamme. Je sais que les soies les plus précieuses que des mères conservaient pour le mariage de leurs filles furent jetées au bûcher. La valeur de l’acte consistait à détruire des objets d’aussi grande valeur. Au moins un million et demi d’articles de prix furent brûlés dont certains valaient plusieurs centaines de roupies. Il eût été criminel de donner ces vêtements aux pauvres. Imaginez des indigents portant les plus riches soieries. C’eût été non seulement déplacé, mais anti-artistique. A vrai dire la plupart des objets détruits n’avaient aucun rapport avec l’existence des pauvres gens. Leur donner ces vêtements eût été aussi absurde que de leur offrir un somptueux service de toilette dont on ne se sert plus. J’espère que d’un bout à l’autre de l’Inde cette opération va continuer et qu’elle ne cessera que lorsque tout le tissu étranger aura été réduit en cendres ou expédié hors de l’Inde.

[88] Dans la Nava Jivan du 8 juin, Gandhi avait écrit un article sur les conditions du travail où il avait abordé la question ouvrière.

Deux voies, disait-il, sont aujourd’hui ouvertes à l’Inde: introduire le principe occidental que la force prime le droit, ou maintenir le principe oriental que, seule la Vérité l’emporte, ne connaît pas d’échec, et que le fort et le faible ont des droits égaux à la justice. Le mieux est de nous occuper d’abord de la classe ouvrière. En admettant que l’ouvrier puisse obtenir par la violence une augmentation de salaire, quelques justes que puissent être ses revendications, il faut qu’il s’en abstienne absolument. Employer la violence pour exiger son droit peut paraître facile, mais c’est en fin de compte un moyen hérissé de difficultés. Ceux qui vivent par les armes, périront par les armes. Il arrive souvent qu’un bon nageur se noie. Voyez l’Europe, personne ne paraît y être heureux, personne n’est satisfait. L’ouvrier se défie du capitaliste et le capitaliste n’a pas confiance dans l’ouvrier. Tous deux possèdent une certaine vigueur et une certaine force, mais ce sont des qualités qui appartiennent même au taureau. Ils luttent tant qu’il y a moyen de lutter. Tout avancement n’est pas progrès. Rien ne nous prouve le progrès des peuples de l’Europe. Qu’ils soient prospères ne prouve nullement qu’ils sont riches en qualités morales et spirituelles.

Que faut-il donc faire? Les ouvriers de Bombay ont vaillamment résisté. Je n’ai pas été à même de connaître tous les faits, mais autant que j’ai pu voir ils auraient dû mieux s’y prendre. Il se peut que le propriétaire de la filature ait été dans son tort. Lorsqu’il s’agit d’un conflit entre le travail et le capitalisme, on peut dire neuf fois sur dix, que ce sont les capitalistes qui sont dans l’erreur. Mais je sais également que, lorsque l’ouvrier commence à se rendre compte de sa force, il peut devenir plus tyrannique que le capitaliste. Si les ouvriers pouvaient les dépasser en intelligence, les propriétaires des filatures se verraient contraints d’organiser le travail d’après les conditions qui leur seraient dictées. Mais il est certain que l’ouvrier n’arrivera jamais à cette intelligence, car alors il cesserait d’être ouvrier et deviendrait patron. Ce n’est pas uniquement l’argent qui fait la force des capitalistes. Ils possèdent véritablement de l’intelligence et du tact.

La question qui se pose est donc celle-ci: Lorsque les ouvriers, tout en demeurant ce qu’ils sont, auront pris conscience d’eux-mêmes jusqu’à un certain point, quelle méthode devront-ils adopter? S’en rapporter à leur nombre ou à la force brutale c’est-à-dire à la violence serait un suicide de leur part. Ils nuiraient à l’industrie de leur pays. D’autre part s’ils se réclament de la justice et que pour l’obtenir ils souffrent dans leur personne, non seulement ils parviendront toujours au but, mais ils réformeront leurs maîtres et développeront l’industrie, les rapports des patrons et des ouvriers seront ceux des membres d’une même famille.

Pour résoudre d’une façon satisfaisante la question du travail il faut que les points suivants soient considérés:

1o Que les heures de travail laissent à l’ouvrier des heures de liberté.

2o Qu’il lui soit donné la possibilité de s’instruire.

3o Que des dispositions soient prises pour que ses enfants aient le lait et les vêtements nécessaires et pour qu’il puisse les instruire.

4o Que des logements salubres soient mis à sa disposition.

5o Que son gain soit suffisant pour lui permettre d’économiser pour ses vieux jours.

A l’heure actuelle, pas une de ces conditions n’est remplie. Et de cet état de choses patrons et ouvriers sont également responsables. Les patrons ne s’intéressent qu’au travail qui leur est fourni. Ils ne s’occupent point de ce que deviennent leurs ouvriers. Tous leurs efforts tendent à obtenir le maximum de travail pour le minimum de salaire. De son côté, l’ouvrier cherche à obtenir le maximum de salaire pour le minimum de travail. D’où il résulte que même lorsque les ouvriers obtiennent une augmentation, la production n’en est pas plus élevée. Les rapports entre les deux intéressés ne sont pas épurés et les ouvriers ne font pas le meilleur usage des augmentations qu’ils ont obtenues.

Entre les patrons et les ouvriers, un troisième parti est venu s’interposer. Il est devenu l’ami de l’ouvrier, mais il ne peut être utile à ce dernier que si son amitié est désintéressée.

Le moment est venu où l’on va se servir de diverses façons de la question du travail comme d’un gage. Elle demande de la réflexion de la part de ceux qui voudraient faire de la politique. Que vont-ils choisir? leur propre intérêt ou celui de l’ouvrier et de la nation? L’ouvrier a grand besoin d’amis. Il faut qu’il soit dirigé pour progresser. La condition du travail dépendra de ceux qui se mettront à sa tête.

Les grèves, l’interruption du travail, les «hartals» sont des choses fort bonnes sans doute, mais dont il est facile d’abuser. Il faut que les ouvriers s’organisent en solides unions ouvrières et qu’en aucune circonstance ils ne fassent grève sans l’autorisation de ces unions. Il ne faut pas courir le risque d’une grève, sans que des tentatives de négociation aient été faites tout d’abord auprès des propriétaires des filatures. Si ces derniers ont recours à l’arbitrage le principe du Panchayat doit être accepté et le Panch nommé. La décision de ce jury doit être approuvée des deux intéressés qu’elle leur plaise ou non.

Lecteurs, si vous souhaitez l’amélioration des conditions du travail, si vous voulez aider l’ouvrier et vous montrer son ami, vous verrez par ce qui précède qu’il n’y a qu’un seul moyen d’y arriver, c’est de l’élever en créant entre son patron et lui des relations familiales. Il n’est pas de meilleure route que celle de la Vérité. Une simple augmentation de salaire ne doit pas vous satisfaire, il faut veiller également à la façon dont les ouvriers obtiendront cette augmentation et à l’usage qu’ils en feront.

[89] Dans son article du 13 octobre 1920, M. Gandhi explique ce mot à propos de la question du Célibat. Nous reproduisons ci-dessous cet article qui a pour titre «En Confidence».

Je reçois un si grand nombre de lettres m’interrogeant sur la question du célibat qu’il m’est impossible, ayant à ce sujet des opinions très précises, et surtout à cette époque critique de notre existence nationale, de remettre à un autre moment de dire ce que j’en pense et les conclusions que m’a dictées l’expérience.

Le mot sanscrit qui correspond à célibat est Brahmacharya et il signifie beaucoup plus que célibat. Brahmacharya veut dire contrôle absolu de tous les sens et de tous les organes. Rien n’est impossible à un Brahmachari. Mais c’est un état idéal rarement réalisé. C’est presque la ligne d’Euclide, qui n’existe que dans l’imagination, qu’on ne peut jamais tracer en réalité et qui n’en est pas moins une importante définition de la géométrie donnant de grands résultats. Un Brahmachari parfait peut donc n’exister qu’en imagination, mais si nous ne l’avions constamment devant les yeux nous serions comme un navire sans gouvernail. Plus nous approchons de cet état imaginaire, plus notre perfection est grande.

Pour l’instant j’ai l’intention de me borner à Brahmacharya pris dans le sens de célibat. Je considère qu’une existence absolument chaste en pensée, en parole et en action est tout à fait indispensable pour atteindre à la perfection spirituelle. La nation qui ne possède pas d’hommes capables de mener cette existence en est d’autant plus pauvre. Mais mon but est de démontrer la nécessité temporaire de Brahmacharya à l’époque actuelle de notre existence nationale.

Nous avons plus que notre part de maladies, de famines, et de misère, et même plusieurs millions des nôtres meurent de faim. Nous sommes annihilés par l’esclavage et d’une façon si subtile que beaucoup d’entre nous se refusent à l’admettre et s’imaginent à tort, malgré le triple fléau de l’épuisement économique, mental et spirituel que notre liberté s’accroît progressivement. Les dépenses toujours plus élevées pour l’armée, la politique fiscale préjudiciable aux intérêts du pays et ne cherchant que le bien du Lancashire et autres intérêts britanniques, la prodigalité extravagante avec laquelle sont organisés les divers services de l’administration demandent à l’Inde une si lourde contribution que sa pauvreté s’en trouve accrue et ses forces de résistance à la maladie diminuées. La façon d’administrer, a, pour employer les paroles de Gokhale, «rabougri» la nation à tel point que les plus grands d’entre nous sommes forcés de nous courber...

Est-il juste que nous qui connaissons la situation, mettions des enfants au monde dans une atmosphère aussi dégradante? Si nous continuons à procréer alors que nous sommes impuissants, malades et mourants de faim, nous ne ferons que multiplier des esclaves et des êtres faibles. Tant que l’Inde ne sera pas devenue nation libre, capable de résister à la sous-alimentation et d’y porter remède, capable de se nourrir pendant les famines, capable de guérir la fièvre paludéenne, le choléra, l’influenza et autres épidémies, nous n’avons pas le droit de mettre au monde des enfants. Je ne puis cacher au lecteur quel chagrin j’éprouve lorsque j’entends parler de naissances sur notre terre indienne. Je dois dire que depuis des années je réfléchis avec satisfaction à la possibilité de suspendre la procréation par la continence.—L’Inde est actuellement mal équipée pour prendre soin même de sa population présente, non parce que celle-ci est trop nombreuse mais parce qu’il lui faut subir une domination étrangère qui a pour doctrine d’en exploiter progressivement toutes les ressources.

Comment arrêter la procréation? Non par les méthodes immorales et artificielles employées en Europe, mais par une vie de discipline et de maîtrise de soi. Il faut que les parents enseignent à leurs enfants les principes de «Brahmacharya». D’après les Shastras hindous l’âge le plus bas pour le mariage des jeunes gens est de vingt-cinq ans. Si l’on pouvait arriver à persuader aux mères qu’il est criminel d’élever les garçons et les filles en vue du mariage, la moitié des mariages cesseraient automatiquement. Nous ne devons pas croire que ce fétiche de la puberté précoce chez nos filles est dû à notre climat chaud. Je n’ai jamais connu de superstition plus grossière et je prétends que le climat n’a absolument rien à voir avec la puberté. Cette puberté prématurée est amenée par l’atmosphère morale et mentale de notre vie de famille. Les mères et autres membres de la famille se font un devoir religieux d’apprendre à des enfants innocentes qu’on les mariera dès qu’elles auront atteint un certain moment, et on les fiance dès le bas âge, avant même qu’elles sachent marcher. La façon d’habiller les enfants et de les nourrir concourt également à exciter leurs passions. Nous habillons nos enfants comme des poupées, non pour leur plaisir mais pour satisfaire notre vanité. J’ai élevé des douzaines d’enfants. Ils portaient avec plaisir et sans aucune difficulté n’importe quel genre de vêtements.—Nous leur donnons toute sorte de nourritures échauffantes et excitantes. Notre amour aveugle ne tient aucun compte de ce qu’ils peuvent supporter. Il en résulte naturellement une adolescence précoce, des maternités prématurées et la mort bien avant l’heure. Les parents donnent à leurs enfants une leçon de choses qu’ils ne sont pas longs à comprendre. En satisfaisant leurs passions avec insouciance ils offrent à leurs enfants l’exemple d’une licence déréglée. Toute addition prématurée à la famille est accueillie par des fanfares joyeuses et des réjouissances. Ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’étant donnée l’atmosphère qui nous entoure notre licence ne soit pas plus grande. Je ne doute pas que si les gens mariés veulent voir l’Inde devenir une nation d’hommes et de femmes solides, vigoureux et bien faits, ils doivent être absolument chastes et cesser pour l’instant de procréer. Je donne ce conseil même aux jeunes mariés. Il est plus facile de ne jamais faire une chose, que de cesser de la faire, de même qu’il est plus facile pour qui n’a jamais bu de continuer à être sobre qu’à un ivrogne de le devenir. Rester debout est infiniment plus facile que se relever après une chute. Il est faux de dire qu’on ne peut prêcher avec succès la continence qu’à ceux qui sont blasés. Il est également absurde de prêcher la continence à un être affaibli. Ce que je veux démontrer c’est que jeunes ou vieux, blasés ou non, il est de notre devoir, à l’époque actuelle, de cesser de donner naissance à des êtres qui hériteront de notre esclavage.

Puis-je mettre en garde les parents contre le piège de l’argument basé sur les droits des conjoints? Le consentement du conjoint est nécessaire pour satisfaire nos passions, mais jamais pour les réprimer.

Au moment où nous sommes engagés dans une lutte à mort contre un gouvernement puissant, nous avons besoin de toutes les forces physiques, matérielles, morales et spirituelles que nous pourrons acquérir et nous n’y parviendrons qu’en ménageant ce que nous devons mettre au-dessus de tout. Si nous n’atteignons pas cette pureté de vie individuelle, nous demeurerons toujours une nation esclave. Ne nous leurrons pas en nous imaginant que parce que nous considérons le gouvernement anglais comme corrompu, les Anglais seraient incapables de nous distancer dans la course à la vertu individuelle. Sans faire parade spirituelle des vertus fondamentales, ils les pratiquent abondamment au point de vue physique, en tout cas. Parmi ceux qui s’occupent de la politique du pays il y a plus de célibataires, hommes et femmes, que parmi nous. La femme célibataire n’existe pour ainsi dire pas aux Indes, sauf les nonnes qui n’exercent aucune influence sur la politique du pays, alors qu’en Europe pour des milliers de femmes le célibat est une vertu courante.

[90] Article paru en gujerati dans le Nava Jevan.

[91] Durjendranath Tagore, le philosophe, frère aîné de Rabindranath.

[92] Corruption du Loyalisme.

«Son Excellence le Gouverneur de Bombay a prévenu le public il y a quelque temps qu’il «allait agir», qu’il ne tolèrerait pas certains discours. Il ne laissait subsister aucun doute dans l’allusion qu’il fit aux frères Ali et autres sur ce qu’il entendait par là. Les frères Ali seront accusés d’avoir corrompu le loyalisme du cipaye et d’avoir tenu des propos séditieux. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à une preuve d’ignorance aussi grande de la part du Gouverneur de Bombay. Il est évident que pendant les douze derniers mois il n’a pas suivi l’histoire de l’Inde. Il ignore évidemment que le Congrès National commença à corrompre le loyalisme du cipaye en Septembre l’année dernière, que le Comité Central pour le Califat commença encore plus tôt, car je tiens à réclamer l’honneur ou l’horreur d’avoir suggéré le droit de l’Inde à dire ouvertement au cipaye et à tous ceux qui sont au service du Gouvernement, qu’ils participent au mal accompli par ce gouvernement. La Conférence de Karachi ne fit que répéter dans la langue de l’Islam la déclaration du Congrès; mais au nom de l’Hindouisme et au nom du Nationalisme, je n’ai aucune hésitation à déclarer qu’il est mal de la part de n’importe qui, soldat ou civil, de servir un gouvernement déloyal envers les Musulmans de l’Inde et coupable d’actes inhumains au Pendjab. Je l’ai répété du haut de mainte estrade devant les cipayes, et si je ne leur ai pas demandé d’abandonner leur métier, ce n’est certainement pas que le désir m’en ait manqué mais parce qu’il m’était impossible de les aider à vivre. Je n’ai pas hésité à dire au cipaye que s’il pouvait quitter le service et vivre sans le secours du Congrès ou du Califat, il devrait le faire immédiatement. Je puis assurer que dès que le rouet aura trouvé sa place dans chaque intérieur, dès que les Indiens auront commencé à se rendre compte que tisser peut procurer à n’importe qui et à n’importe quel moment un moyen d’existence honorable, je n’hésiterai pas à demander individuellement à chaque cipaye (même si l’on devait me fusiller) de quitter l’armée et de se mettre à filer. Car n’a-t-on pas habitué le cipaye à tenir ses semblables sous le joug, ne s’est-on pas servi de lui pour tuer les innocents du Jallianwala Bagh, ne s’est-on pas servi de lui pour chasser des hommes, des femmes et des enfants innocents pendant cette horrible nuit à Chandpur, ne s’est-on pas servi de lui pour forcer les fiers Arabes de la Mésopotamie à se soumettre, ne s’est-on pas servi de lui pour écraser les Egyptiens? Comment un seul Indien ayant en lui une étincelle d’humanité et un seul Musulman fier de sa religion pourraient-ils avoir d’autres sentiments que ceux des frères Ali? On s’est beaucoup plus servi du cipaye comme assassin rétribué que comme soldat pour défendre la liberté et l’honneur des faibles ou des êtres sans défense...

Nous ne demandons pas de quartier, nous n’en attendons pas de la part du gouvernement. Nous n’avons pas demandé qu’on nous promette d’être exemptés de la prison, tant que nous serions non-violents. Nous avons à continuer d’avancer. Nous devons du haut de mille estrades répéter les paroles des frères Ali au sujet des cipayes, et ouvertement et systématiquement continuer à répandre la désaffection, jusqu’à ce qu’il plaise au Gouvernement de nous arrêter. Et nous agirons ainsi, non par vengeance haineuse, mais parce que c’est notre Dharma.

Une Enigme et sa solution.

Lord Reading est intrigué et perplexe. Son Excellence, répondant à des discours de l’Association Anglo-Indienne et de la Chambre de Commerce du Bengale et de celle de Calcutta, a dit: «J’avoue que lorsque je considère l’activité d’un certain groupe de la communauté, je reste, (et cela malgré les efforts que je fais pour comprendre depuis que je suis dans l’Inde,) intrigué et perplexe. Je me demande à quoi peut servir de braver le gouvernement, afin de le forcer à vous arrêter.» Nous voulons qu’on nous arrête, parce que ce qu’il est habituel d’appeler liberté n’est que de l’esclavage. Nous jetons un défi au pouvoir du gouvernement, parce que nous considérons son activité comme absolument malfaisante. Nous voulons renverser le gouvernement, nous voulons l’obliger à se soumettre à la volonté du peuple. Nous voulons démontrer que le gouvernement est là pour servir le peuple, et non le peuple pour servir le gouvernement. La liberté sous le gouvernement est devenue intolérable, car le prix réclamé pour la conserver est absolument déraisonnable. Que nous soyons seul ou plusieurs, nous devons refuser une liberté qui nous condamne aux dépens de notre respect de nous-mêmes, et des convictions qui nous sont si chères.

Il faut que Lord Reading comprenne clairement que les Non-Coopérateurs sont en guerre contre le gouvernement. Ils se sont révoltés contre lui, parce que celui-ci a manqué à la parole donnée aux Musulmans, qu’il a humilié le Pendjab et qu’il cherche à imposer sa volonté au peuple et refuse de réparer les injustices dont le Pendjab a souffert.

Il y avait deux moyens d’agir: une rébellion armée ou une révolte pacifique. Les Non-Coopérateurs ont préféré, certains par faiblesse, d’autres parce qu’ils se sentent forts, la méthode pacifique, c’est-à-dire la souffrance volontaire. Lord Reading qui a été élevé dans l’atmosphère des tribunaux peut difficilement apprécier la résistance pacifique à l’autorité. Son Excellence aura appris avant la fin du conflit qu’il existe un tribunal bien supérieur aux tribunaux judiciaires: c’est le tribunal de notre conscience. Il surpasse tous les autres.

Lord Reading peut, s’il le désire, considérer tous ceux qui souffrent, comme des fous qui ignorent leur intérêt. Il a donc le droit de les mettre à l’abri du mal. C’est un arrangement qui convient admirablement aux fous, et si celui-ci plaît au gouvernement, une position idéale. Il aura sujet de se plaindre, si après avoir cherché à se faire mettre en prison, les Non-Coopérateurs ne sont pas contents et se plaignent, s’ils grognent et glapissent, afin d’obtenir des faveurs, comme dit Lalaji. La force du Non-Coopérateur consiste à aller en prison sans se plaindre. Il perd sa cause si, après avoir cherché à se faire emprisonner, il se plaint dès que la prison lui ouvre les bras. Les menaces de Son Excellence manquent de dignité. Il y a conflit entre le règne de la violence et l’opinion publique. Ceux qui la représentent sont résolus à subir n’importe quelle violence plutôt que de renoncer à leur opinion.

Secouant la crinière.

«Comment pourra-t-il y avoir entente tant que le lion britannique continue à brandir à notre face ses griffes souillées de sang? Lord Birkenhead nous rappelle que l’Angleterre n’a rien perdu de ses muscles solides, Mr. Montague nous déclare de la façon la plus catégorique que les Anglais appartiennent à la nation la plus résolue de la terre et qu’ils ne supporteront pas d’obstacles à leurs desseins. Permettez-moi de citer textuellement le texte du télégramme de Reuter:

«Si l’existence de Notre Empire se trouvait menacée, si le Gouvernement Britannique se trouvait empêché d’accomplir ses fonctions, si certaines demandes lui étaient adressées avec la fausse conviction que nous avons l’intention de quitter l’Inde, l’Inde ne réussirait point, par sa provocation au peuple le plus résolu du monde car celui-ci répondrait à cette provocation avec toute la vigueur et la détermination dont il dispose».

Lord Birkenhead et Mr. Montague semblent ignorer l’un et l’autre que l’Inde est prête à tenir tête à tous les muscles solides que l’on pourrait envoyer au-delà des mers, et que son défi fut lancé à Calcutta en 1920, lorsque l’Inde déclara ne pouvoir se contenter de moins que du Swaraj et de la réparation complète des torts faits au Pendjab et au Califat. Il s’agit en effet de l’existence de l’Empire, et si ceux qui en ont la responsabilité n’acceptent point sa transformation pacifique en véritable fédération de nations, possédant chacune des droits égaux et la possibilité de se détacher si elles le désirent d’une association amicale et honorable, toute la détermination et toute la vigueur «du peuple le plus résolu du monde» et tous les «muscles solides» seront en vain employés pour briser l’esprit qui a pris naissance et qui ne saurait ni plier ni se briser. Il est exact que nous ne possédons pas de «muscles solides». Les misérables millions d’Indiens qui se nourrissent de riz semblent résolus à accomplir leur destinée sans autre tutelle et sans armes. Selon le mot de Lockamanya, «c’est leur droit de naissance», et ils y parviendront, malgré tous les muscles solides, malgré toute la vigueur et la détermination avec laquelle on peut les gouverner. L’Inde ne peut pas et ne veut pas répondre à cette insolence par l’insolence. Mais si elle demeure fidèle à son serment, la prière qu’elle adresse à Dieu pour qu’il la délivre ne sera pas vaine. Aucun Empire grisé du vin rouge du pouvoir ou du pillage des races plus faibles n’a jamais duré longtemps, et l’Empire britannique qui est fondé sur l’exploitation systématique des races physiquement plus faibles et sur une démonstration continuelle de force brutale, ne peut durer si un Dieu juste est le maître de l’univers. Ces soi-disant représentants de la nation Britannique semblent bien peu se rendre compte que l’Inde a déjà exposé aux «muscles solides» un grand nombre de ses hommes les plus nobles. Si Chauri-Chaura n’avait pas interrompu le cours régulier du sacrifice national, il y aurait eu des offrandes plus délectables encore faites au lion. Mais Dieu en avait décidé autrement. Rien n’empêche cependant tous les représentants de Downing Street et de Whitehall de faire ce qui leur plaît. J’ai conscience d’avoir écrit avec un peu d’emportement, au sujet de la menace qui nous vient d’outre-mer; mais il est temps que le peuple Britannique se rende compte que la lutte commencée en 1920 continuera jusqu’au bout, qu’elle dure un mois, un an, plusieurs mois ou plusieurs années, et même si les représentants de la Grande-Bretagne recouraient aux orgies innommables de l’époque de la «Rébellion». J’espère simplement et je prie Dieu qu’il rendra l’Inde assez forte et assez humble pour pouvoir demeurer non-violente jusqu’au bout. Il est impossible à présent d’accepter les défis insolents qui nous sont adressés par dépêche.

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